L’idée, pour les amoureux du voyage qui n’en peuvent plus, c’est justement de reprendre goût au rêve, de recommencer à concevoir chaque escapade comme une expérience inaccessible, comme un privilège unique. Nous avons le temps, maintenant, de chercher les meilleurs plans, de nous bâtir des itinéraires du tonnerre pour quand il sera à nouveau permis de s’essayer aux ni hao et Guten Tag.
L’idée, c’est aussi de réfléchir au comment. Peut-être que les musées, les monuments historiques et les hôtels ne nous accueilleront plus comme avant. Peut-être qu’ils ne rouvriront pas tous au même rythme. Et peut-être que les propriétaires de AirBnb, dans les quartiers trop touristiques, auront un peu traversé le désert pendant la pandémie. Auront-ils tous envie de retenter l’aventure? Si nous nous sommes adaptés jusqu’ici pour affronter une pandémie qui n’en finit plus, sûrement pourrons-nous nous adapter pour un tourisme plus responsable, plus vert, et moins égocentrique.
L’idée, c’est de voir le verre à moitié plein pendant qu’on attend. Mais même s’il est plein plus qu’à moitié, le verre, il finit par se vider quand on y prend des gorgées pour passer le temps. Et c’est là que le bât blesse : le temps. C’est ce que la pandémie nous a pris : le temps de découvrir un monde qui ne sera plus jamais le même.
En janvier, déjà, j’arrivais trop tard dans la région d’Arecibo, à Porto Rico, pour voir l’observatoire astronomique où se trouve un télescope énorme que les cinéphiles ont pu voir dans un film de James Bond : GoldenEye. Le site, qu’on craignait endommagé par les tremblements de terre survenus dans les semaines précédentes, était fermé temporairement. En novembre, l’instrument d’astronomie était condamné : deux câbles qui le retenaient dans les airs avaient cédé. Le 1er décembre, il s’écroulait avant qu’on ait pu le démanteler. Les vidéos sur internet sont impressionnantes. Trop tard pour voir le télescope en vrai.
C’est sans compter les zones de conflit, où il n’est plus possible de s’aventurer : la Syrie, bien entendu, mais aussi l’Éthiopie, où les tensions sont vives dans la région du Tigré, et en Azerbaïdjan, dans la région du Haut-Karabakh.
Les kilomètres de forêt brûlée en début d’année, en Australie, nous ont aussi fait prendre conscience de ce que nous risquions de perdre collectivement, bien au-delà de la valeur touristique de l’environnement, si rien ne change. Nous avons peut-être zappé un peu les koalas et les kangourous quand les pangolins ont été pris d’une toux persistante. Mais une autre manifestation des changements climatiques passée sous le radar a sonné l’alarme en fin d’année.
L’Islande a gagné en popularité dans les cinq dernières années. Les vols à bas prix ont attiré les hordes de touristes qui, souvent trop pressés, se sont limités au cercle d’or pour voir Reykjavik, le geyser de Geysir et les chutes de Gullfoss. Pour les autres, comme moi, qui ont avalé le bitume tout au long de la route 1, ce sont les fjords de l’est qui ont sans doute charmé de leur grande beauté. La route qui grimpe et qui plonge jusqu’à Neskaupstadur me laisse des souvenirs impérissables comme le cachet du coquet village de Seydisfjordur.
Mi-décembre, des pluies torrentielles, soit 57 cm d’eau en cinq jours, se sont abattues sur ce village de Seydisfjordur, entraînant des coulées de boue qui ont endommagé au moins dix maisons. Historiquement, jamais il n’a plu autant sur la tête de cette communauté de 700 âmes. Pire encore, en cinq jours, le village a reçu plus de la moitié des précipitations moyennes annuelles qui tombent sur la capitale, à l’autre bout de l’île. Seydifjordur a dû être complètement évacué.
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Parallèlement, l’an dernier, l’Islande a inauguré un monument pour signaler la disparition du glacier Okjökull, un symbole du sort réservé aux autres glaciers, dont on estime l’espérance de vie à moins de 200 ans.
Il est probablement trop tard pour sauver les îles Kiribati, menacées par la montée des océans. Les Maldives et Madagascar, comme Venise, sont menacés par des inondations de plus en plus fréquentes. Des coulées de boue pourraient finir par emporter le Machu Picchu, la mer Morte s’assèche, les iguanes des Galapagos voient leur nourriture se raréfier.
Pendant qu’on réfléchit aux prochaines excursions, on peut se demander ce qu’il est possible de faire maintenant, même confinés à la maison, pour que le monde soit encore plus beau, mieux protégé, quand on pourra partir de nouveau. On peut en profiter pour remettre en question nos propres pratiques, la quantité de déchets qu’on produit à la maison comme à l’étranger et la relation qu’on entretient avec les populations locales, par exemple, pour adopter de meilleures pratiques en 2021 ou en 2022.
Le Rwanda a déjà banni l’usage des sacs de plastique sur son territoire. Peut-être n’est-il pas nécessaire d’attendre les interdictions pour se procurer des articles de voyage durables ou écologiques. Ce n’est pas parce qu’on est en vacances que le climat prend une pause.
Voyager plus vert ne veut pas dire ne pas voyager du tout. Ça veut dire s’intéresser aux compagnies locales, éviter de multiplier les bouteilles de plastique ou découvrir de petites communautés.
Après tout, 2020 nous aura démontré que voyager est avant tout un privilège et que si nous voulons continuer à en profiter, il nous faudra sans doute revoir nos façons de faire. Oui, peut-être nous faudra-t-il un certificat de vaccination ou un test négatif à la COVID-19 pour entrer à l’étranger. Et non, il ne s’agira pas d’une première. Certains pays exigent déjà la vaccination contre la fièvre jaune pour vous laisser les visiter.