Aimer à distance, si on se fie aux gérants d’estrade, c’est impossible. Derrière la grande magie exacerbée par la découverte d’un nouveau pays se dresse une illusion qui, selon eux, s’évanouira dès que le quotidien reprendra son cours, à deux océans de distance. En 2020, la pandémie, avec l’aide des politiciens, leur a presque donné raison. Alors qu’on fermait les frontières pour protéger les populations, mais qu’on les ouvrait « pour le bien de l’économie », en laissant passer des joueurs de hockey, naissait le mouvement #LoveisNotTourism. L’amour n’est pas du tourisme. Des milliers de couples binationaux, séparés par la fermeture des frontières, devaient vivre la pandémie à distance parce qu’ils n’étaient pas mariés.
Au printemps, c’était ça la règle : des exceptions permettaient aux membres d’une même famille d’être réunis, incluant les conjoints mariés. Tous les autres ont dû attendre octobre pour qu’on décide qu’une déclaration sous serment permettrait d’authentifier toute relation qui durait depuis plus d’un an. Là, des permissions d’entrer au Canada pouvaient être accordées aux conjoints non mariés. Qu’on ait eu l’imagination de trouver des solutions pour les joueurs de hockey en quelques semaines, mais qu’on ait mis des mois à penser à la possibilité d’un acte notarié pour les couples non mariés me dépasse.
À cause de cette règle, des enfants sont nés sans leurs deux parents. Des couples se sont brisés, incapables de subir les déchirements de l’éloignement. La page Facebook Love is not Tourism est pleine de ces histoires. Pleine des images du bonheur de ceux qui se sont retrouvés, aussi, plusieurs centaines de jours après s’être pris dans leurs bras la dernière fois. J’ai le cœur serré chaque fois.
Je suis de ceux qui ont subi cette distance.
À la fin d’un de mes séjours à l’étranger, la moitié de mon cœur rentrait au Canada alors que l’autre moitié prenait la direction du Mexique.
Après avoir multiplié les aller-retour, cherché des solutions pour raccourcir les kilomètres entre le Québec et l’État du Nuevo León, ce constat tombé comme une tonne de brique à la fin 2019 : nous n’en pouvions plus! En 2020, la distance ne serait plus une option.
Fin janvier, une énorme valise se posait à la maison, au Canada, remplie de toute une vie mexicaine. Pas le temps d’entreposer les mitaines, le foulard et le manteau, essentiels pour contrôler les grelottements dès que les beaux jours de l’été canadien prennent fin : pandémie oblige, la valise a repris la route du Mexique le 17 mars, une grosse demi-heure avant la fermeture officielle de la frontière canadienne.
Notre naïveté nous convainquait que nous n’en aurions que pour deux semaines, trois tout au plus, à nous parler par la magie de la technologie. Après tout, à Wuhan en Chine, on avait annoncé avoir contrôlé le virus en quelques semaines seulement. La possibilité d’un mariage en juin, déjà évoquée, demeurait réaliste. Les semaines sont devenues des mois, que nous prenions un à un de peur de nous décourager devant la montagne qui se dressait devant nous.
Fin août, la patience ayant atteint ses limites, cette idée lancée comme les pétales d’une marguerite qu’on effeuille sans conviction a fait son chemin : « Et si on se mariait au Mexique? »
J’avais lu l’histoire de cette Québécoise partie se marier en Islande, pays de son amoureux, pour éviter qu’une deuxième vague les sépare encore plus longtemps. Le Mexique n’ayant pas fermé ses frontières aux Canadiens, le projet paraissait réaliste.
Mi-octobre, je m’envolais, masque au visage, habit froissé dans le bagage, pour un irréaliste séjour au Mexique. Comment effacer sept mois, dans une étreinte masquée au milieu d’un aéroport vide de voyageurs?
Avant la fin de la journée, nous avions les bagues et les fleurs pour une cérémonie prévue trois jours plus tard. Au Mexique, encore plus qu’au Canada, on est strict sur la désinfection des mains à l’entrée des commerces. Un employé est presque toujours désigné exclusivement pour surveiller la pompe installée devant la porte. On y portait toujours le masque, souvent à l’extérieur aussi, même si la qualité de certains couvre-visages laissait clairement à désirer.
Quinze personnes à la fois, c’est ce que prévoyait la loi pour les rassemblements. Nous avons donc opté pour une célébration en deux temps, pour permettre à la belle-famille et aux amis mexicains, assis par bulles familiales et sans échanges entre eux, d’assister à l’événement. Une communication Zoom, qui a flanché après une quarantaine de minutes, a permis au reste du monde de se brancher. C’est ça se marier en 2020.
Comme c’est la tradition au Mexique, des mariachis ont chanté pour clôturer les célébrations et nous faire oublier un instant la folle année qui nous avait menés là.
Nous sommes revenus au Canada à deux, respectant la quarantaine obligatoire. La pandémie, aussi longue soit-elle, ne nous gardera plus jamais éloignés aussi longtemps. La santé mentale, pour certains, c’est de pouvoir pratiquer un sport, de passer à la bibliothèque ou de commander un repas au restaurant. Pour d’autres, coincés seuls à la maison dans le respect des règles sanitaires depuis des mois, la santé mentale, c’est d’avoir le droit de vivre en couple. Non, l’amour n’est pas du tourisme. C’est mon pied de nez à 2020.
À tous ceux qui attendent toujours les retrouvailles, qui n’en peuvent plus d’être séparés : tenez bon! Vous êtes moins seuls que vous le pensez.
Quand les confinements s’empilent, que la patience broie du noir et que même pleurer ne soulage plus, je me rappelle que 2020 a eu du beau aussi. Les mariachis ont chanté.