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Le même respect, peu importe le corps

C'est parce que l’image des gros et des grosses est négative que la discrimination passe inaperçue aux yeux de bien des gens.

CHRONIQUE / L’histoire de Marie-Christine Lanoue a suscité de nombreux commentaires, en ligne et dans mes courriels. Beaucoup de soutien pour l’infirmière mise de côté pour son poids, mais aussi plusieurs questionnements sur la discrimination à l’emploi. Jusqu’où peut aller un employeur pour refuser une candidature ou pour en savoir plus sur sa vie personnelle?


Un lecteur me demandait si, d’un point de vue financier, ce n’était pas une décision « normale » de la part d’un employeur de rejeter la candidature d’une personne grosse, puisque celle-ci « finirait par coûter plus cher » en congés maladie, en assurances, en accommodements ou autres. C’est un argument qui revient souvent. Même si c’était vrai – j’y reviendrai –, on ne peut pas refuser un emploi pour de telles raisons.

La Charte des droits et libertés prévoit déjà qu’un employeur, par exemple, ne peut pas demander à une femme si elle prévoit ou non avoir des enfants dans un avenir proche ou éloigné. Un employeur pourrait soutenir qu’une femme qui tombe enceinte va lui coûter plus cher et demander plus de gestion – c’était fréquent comme argumentaire il n’y a pas si longtemps. Heureusement, c’est illégal maintenant. Un employeur ne peut pas poser cette question en entrevue et encore moins rejeter la candidature d’une personne pour cette raison.

Un employeur ne peut pas plus poser de questions sur la religion, la langue, l’état civil, l’orientation sexuelle, l’âge, les convictions politiques, l’origine ethnique ou la condition sociale. La moindre question sur ces sujets est une infraction selon la Charte des droits et libertés. Alors pourquoi un employeur pourrait-il se permettre de poser des questions sur la santé des candidats et candidates? Leur demander leur poids et leur IMC? 

Protéger les corps différents

Édith Bernier est conférencière, autrice du livre Grosse, et puis? et fondatrice du site grossophobie.ca. Elle a présenté en novembre 2019 une pétition à l’Assemblée nationale afin que l’apparence physique soit aussi protégée par la Charte des droits et libertés. « Il n’y a rien qui protège une personne qui se fait refuser un emploi parce qu’elle est considérée laide, ou sur son apparence physique ou son poids », explique-t-elle. 

Sa pétition était marrainée par la porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, mais n’a pas reçu d’autres appuis politiques. Si le ministre Simon Jolin-Barette n’avait pas fermé la porte, soulignant que « les Québécois et les Québécoises doivent pouvoir évoluer au sein d’une société où les relations sont empreintes d’un respect mutuel », dans la même lettre, il suggérait d’attendre qu’il y ait une modification à la Charte pour peut-être ajouter ce volet. Elle avait toutefois reçu l’appui de plusieurs artistes, personnalités publiques, mais aussi de nutritionnistes, de psychologues et plusieurs autres professionnels et professionnelles de la santé. 

C’est de plus en plus fréquent d’entendre des experts en ressources humaines et en assurance inviter les employeurs à « s’attaquer au problème de l’obésité ». Pas pour des raisons humanistes, mais pour des raisons comptables. Quelques études évoquent des frais plus élevés pour des personnes grosses, sur une longue carrière du moins. Mais c’est un portrait incomplet de la situation.

Il y a un volet discriminatoire, déjà. Comme évoqué plus tôt, je ne crois pas que ces mêmes personnes oseraient organiser des panels sur le coût des personnes à risque de développer un cancer. Pourtant, il existe certaines données qui permettent de cibler des personnes à risque, comme les antécédents familiaux, entre autres. Alors pourquoi le faire pour le poids? 

Parce que c’est une information « facile » à avoir. En un coup d’œil, on peut « juger » si une personne est grosse ou non et c’est à partir seulement de cette information qu’il se construit une fausse carte de risques et de potentiels coûts pour l’entreprise. Mais ça autant de valeur que prédire les risques d’une personne de faire une dépression par sa façon de s’habiller : aucune.

Ensuite, comme je le mentionnais hier, on ne tient pas compte de l’impact de la stigmatisation dans ces études. Peut-être que si ces personnes évoluaient dans des milieux de travail plus accueillants (commentaires désobligeants de collègues, pression pour perdre du poids, mobilier inadaptés, etc.), ces personnes ne perdraient peut-être aucune productivité, ne tomberaient pas malade (il y a un bon lot de dépressions dans ces statistiques) et seraient heureuses! Il ne faut pas négliger l’importance du bien être dans la santé!

Surtout ne pas prendre de poids

Selon Édith Bernier, on traine aussi un énorme legs d’un passé pas si lointain où tous les professionnels de la santé martelaient qu’il fallait absolument perdre du poids. « Être gros ou grosse a été décrié par tout le monde! C’est encore tellement mal vu! »

Elle n’a pas tort! Selon une étude américaine qu’elle cite dans son livre, plutôt que d’être considérés « obèse », les gens préfèrent : divorcer (30 %), être incapables d’avoir des enfants (25 %), mourir 10 ans plus tôt (15 %), faire une dépression majeure (15 %), devenir alcoolique (14 %), être amputé d’un membre (5 %) ou devenir aveugle (5 %). 

C’est justement parce que l’image des gros et des grosses est aussi négative que la discrimination passe inaperçue aux yeux de bien des gens. Je dis souvent que si les gens sont aussi maniaques sur leur poids, c’est davantage pour une question d’image sociale que pour des raisons de santé, même si c’est la santé qui est mise de l’avant. Pire, ajoute Édith Bernier, bien des gens qui exercent une discrimination pensent vraiment le faire pour le bien de la personne grosse.

C’était le cas d’ailleurs dans la situation évoquée hier, c’était pour « protéger » Marie-Christine Lanoue que sa candidature avait été refusée.

L’importance de dénoncer

Édith Bernier ne cache pas qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, beaucoup d’éducation à faire et de nombreux préjugés à combattre, mais elle se montre optimiste. « Je sens qu’il y a un appui populaire, une indignation qui nourrit les réflexions, les situations sont reprises par les médias. Ça n’arrivait pas il y a cinq ans! La Charte ne protège pas encore, mais l’indignation fonctionne. Ça bouge tranquillement pas vite. »

La haine de soi, pour les personnes grosses, est toutefois bien enracinée, internalisée. « Prendre conscience d’un jugement inconscient est un bon défi, ajoute la spécialiste en grossophobie. Il y a une construction sociale du beau. Il faut de l’éducation, de la sensibilisation. Il faut une intransigeance bienveillante, une résistance active, mais pas agressive. »

Ça ressemble justement à la sortie publique de Marie-Christine Lanoue sur Facebook. Elle a refusé son injustice, elle a dénoncé sa situation. Elle ne croit pas que le CIUSSS de l’Estrie-CHUS lui aurait offert des postes si elle n’avait pas fait sa vidéo. « Je suis bien décidée à porter plainte à la Commission des droits de la personne du Québec. Je veux aller jusqu’au bout », a-t-elle mentionné à ma collègue. 

Je ne peux qu’encourager Marie-Christine à le faire, même si le CIUSSS tente de se rattraper. Plus il y aura de personnes qui dénoncent ces situations, plus on préviendra d’injustices. La dignité, c’est plus important que la forme de nos corps ou que notre poids.