Chronique|

Tout ça pour Semuc Champey

Si on se donne le peine de grimper pendant 45 minutes jusqu’au Mirador, on obtient une des vues les plus imprenables sur les piscines naturelles de Semuc Champey.

CHRONIQUE / À Rome comme les Romains. Au Guatemala comme les Guatémaltèques. L’amie Elizabeth s’est montrée très patiente pour m’expliquer que les distances qui paraissent courtes à vol d’oiseau, dans son beau pays, sont beaucoup plus longues quand on dodeline, à l’arrière d’un véhicule, au rythme des bosses et des crevasses dans les routes qui n’ont jamais connu l’amour. Au Guatemala, le point A et le point B ne sont jamais proches. Jamais!


Ma confiance qui avait la phobie de devenir aveugle s’est laissé convaincre par les descriptions enchanteresses de Semuc Champey, une aire protégée à peu près au centre géographique du pays. Plus belle que Tikal, qu’elle disait Elizabeth! Plus charmante que le lac Atitlan aussi. En simple, Semuc Champey, promesse guatémaltèque, c’est l’incontournable, l’idéal pour des vacances à l’intérieur du pays.

Mais comme n’entre pas qui veut au paradis, le hic, c’est que la réserve naturelle se situe au milieu de nulle part et qu’il n’y a pas de raccourci pour l’atteindre, peu importe la direction de laquelle on arrive. Les pirouettes qu’il nous faudrait pour nous y rendre...

Quand on nous vante la quasi-perfection, on achète sans trop se poser de questions. Mon incontournable à moi, parce que je le connaissais déjà, c’était Tikal et sa grande pyramide maya. De Flores, le terminus le plus proche, j’ai traversé le pays complet, de nuit, pour rentrer à Guatemala City et sauter aussitôt dans la minifourgonnette de l’amie Elizabeth pour repartir vers le nord. C’était plus simple, jurait-elle, que de m’arrêter à mi-course une fois l’autobus lancé.

Mais voilà, il a fallu une bonne partie de la journée, à somnoler et à grignoter les litchis frais achetés en bordure de route, avant d’arriver aux portes de l’aire protégée.

N’entre pas qui veut au paradis, que je disais. Les routes cahoteuses, souvent semi-gazonnées, se montraient trop abruptes pour la pauvre minifourgonnette épuisée du long trajet. Elle passerait les prochaines 24 h dans la cour d’un étranger qui a accepté de nous conduire une dizaine de kilomètres plus loin, nous debout à l’arrière de sa camionnette.

Les hébergements étaient là, dispersés dans le milieu de nulle part et le long d’une rivière qu’on s’amuse à descendre sur des anneaux pneumatiques. Là, pas de wi-fi. L’électricité se fait rare aussi et il se peut que les douches soient froides, surtout si on les fréquente en dehors des heures d’ensoleillement.

Là, on n’a pas construit des Hilton ou des Marriott. On dort dans des cabanes luxueuses malgré tout, des auberges rustiques, ou cordés dans des dortoirs minimalistes. Mais on ralentit le rythme, on sirote de quoi se rafraîchir dans un hamac le long de la rivière ou avachi dans un fauteuil sous un gros arbre.

Le dernier bout de route avant d’atteindre la rivière est parfois cahoteux à travers les montagnes et les broussailles.

Semuc Champey, c’est la ruralité, la nature, le bruit qui se fabrique sans grande intervention humaine. C’est décanter dans la jungle au bout d’une longue randonnée en voiture.

Surtout, le clou du spectacle de toute cette oasis, c’est le turquoise des piscines naturelles qui se déversent les unes dans les autres en cascades. Les sandales y sont presque nécessaires pour éviter les cailloux et les racines qui rivalisent pour nous déchirer la plante des pieds. Mais les chaussures ou les bottes peuvent être d’un grand secours, aussi, quand on choisit de grimper jusqu’au Mirador, d’où la vue en plongée sur les piscines naturelles est imprenable. Dites-le à votre souffle court, il faut environ 45 minutes en montée constante, principalement sous la forme d’escaliers, pour arriver jusqu’en haut. Combien de marches? Au moins cinq millions! Ou sûrement moins que ça. Mais j’ai arrêté en réalisant qu’il me fallait rationner l’eau que je n’avais pas prise en assez grande quantité. Erreur de débutant!

La bonne nouvelle, c’est qu’on peut descendre par un chemin différent de la montée, et que même si on a chaud, la récompense, c’est de se lancer dans l’eau douce qui peut, par endroits, être plus profonde qu’on le croit.

On dit qu’on est fou si on ne prévoit pas au moins deux grosses journées à Semuc Champey. Considérant le temps qu’on met à s’y rendre, il apparaît plus que sage d’y recharger les batteries complètement avant de repartir. Mais il y a ceux, comme moi, qui sont un peu fous.

Et ceux, comme moi, qui le deviennent encore plus quand la route du retour se transforme en cauchemar.

Peut-être avons-nous mal calculé le moment du départ, mais il semble qu’un énorme nuage noir se soit invité sur le toit de la minifourgonnette, direction Guatemala City. Il nous a plu dessus pendant la dizaine d’heures qu’a duré le trajet, rallongé par les intempéries.

Ils n’ont pas prévu, au Guatemala, les panneaux réfléchissants pour prévenir d’une courbe prononcée. Pas de réverbère non plus pour différencier le bitume du fossé. Au plus fort de l’ondée, avant que nous décidions de nous arrêter, nous naviguions en faisant confiance au GPS pour négocier les virages au bon moment. La pénombre était plus noire encore que le nuage orageux.

À l’approche de la grande ville, quand les cumulonimbus se sont calmés sans cesser de pleurnicher, on apercevait les voitures immobilisées sur l’accotement après qu’elles eurent été frappées par des pierres qui s’étaient détachées des falaises bordant la route.

Sains et saufs, mais épuisés d’avoir rallongé de quatre heures un parcours déjà interminable, nous avons conclu qu’il aurait probablement été plus sage de prendre une journée de plus pour recharger nos batteries. Parce que nous étions vidés. Tout ça pour Semuc Champey.