«J’ai appelé deux fois aux services de psychologie de l’Université Laval, mais on m’a dit que ma moyenne était trop haute, que ce n’était pas urgent», a-t-elle décrié dans une lettre ouverte signée dans le média étudiant Impact Campus.
Signe que l’étudiante de 23 ans n’est pas la seule à être au bord du gouffre, sa lettre a provoqué beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux.
«La détresse se ressent sur le terrain», confirme Keven Imbeault. Il est président de la Confédération des Associations d'étudiants et étudiantes de l'Université Laval (CADEUL), qui représente les étudiants de premier cycle à l’Université Laval.
Depuis cet automne, des membres lui font part de leur réalité et pour certains, elle s’apparente à celle d’Emmy.
«Depuis le début de la session, j’ai pensé abandonner neuf fois mes cours, alors que l’école est une des choses que je préfère normalement. J’ai espéré me faire rentrer dedans par une voiture à au moins quatre reprises», écrit la finissante au baccalauréat en littérature dans sa missive.
«La lettre traduit bien le cri du cœur de la réalité étudiante, estime Keven Imbeault. On a demandé aux étudiants de faire leur part pour combattre la pandémie. Ce qu’on leur demande c’est de s’enfoncer encore plus dans cette solitude qu’on savait déjà problématique».
Et cette solitude pourrait être accentuée par le fait que chacun étudie chez soi. Une réalité pour le moins «alarmante», expliquent Perpétue Adité et Nina Tomaszewski, deux représentantes de l’Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures (AELIÉS). La pandémie, l’isolement, la précarité financière, tant de facteurs qui existaient, certes, mais qui rendent les universitaires plus «vulnérables» cette session-ci que les précédentes, selon elles.
«Tout ce qu’on sait pour le moment c’est que ça ne va pas bien», ne cache pas la vice-présidente aux affaires financières et au développement de l’AELIÉS, Nina Tomaszewski.
«Là c’est pire»
Pourtant, la détresse psychologique étudiante était déjà connue du milieu, bien avant la pandémie.
Il y a un an, en novembre 2019, l’Union étudiante du Québec, en partenariat avec des associations étudiantes de 14 universités québécoises publiait les résultats de son enquête Sous ta façade. Après avoir sondé plus de 23 000 membres de la communauté étudiante, l’UEQ tirait des conclusions assez alarmantes sur l’état de santé psychologique des étudiants.
J’ai appelé deux fois aux services de psychologie de l’Université Laval, mais on m’a dit que ma moyenne était trop haute, que ce n’était pas urgent.
Au total, pas moins de 58% des répondants disaient souffrir de symptômes liés à une profonde détresse psychologique et 9% des personnes sondées indiquait avoir pensé sérieusement au suicide.
Sous ta façade dressait ainsi un portrait voulant que «les personnes aux études sont plus nombreuses à se trouver à un niveau élevé sur l’échelle de détresse psychologique que les Québécoises et les Québécois sondés en 2014-2015».
Et même si elles ne détiennent pas de données pour appuyer leurs dires, selon les principales associations étudiantes de l’Université Laval, la réalité à l’ère de la pandémie pourrait bien être pire.
«La pandémie exacerbe la problématique de détresse psychologique, mais elle existait avant et elle ne va pas arrêter d’exister quand la pandémie va être terminée», martèle le président de la CADEUL.
Un sondage mené par l’AELIÉS auprès de ses quelque 11 000 membres aux deuxième et au troisième cycle, tend à démontrer que la détresse psychologique est répandue. Même s’il ne doit prendre fin que le 15 novembre, le questionnaire, répondu jusqu’ici par près de 700 étudiants, permet à certains de lancer des signaux d’alarme.
«Il faut agir maintenant [sinon] possiblement qu’il va y avoir des impacts dramatiques», exposent Perpétue et Nina, de l’AELIÉS.
Accessibilité?
Depuis la publication de sa lettre, mercredi, Emmy reçoit des témoignages d’autres étudiants universitaires, de professeurs aussi. Au-delà de 3400 partages plus tard sur les réseaux sociaux, son témoignage a fait son bout de chemin, affirme-t-elle.
«Il y a même une personne de l’Université de Montréal (UdeM) qui m’a contactée. Elle me disait qu’elle avait été obligée de menacer de se tuer pour avoir accès aux services d’aide», raconte Emmy en entrevue au Soleil.
L’Université Laval, de son côté, se veut rassurante. Le vice-recteur exécutif et vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes, Robert Beauregard, mentionne d’ailleurs que le message lancé par Emmy dans sa lettre allait «droit au cœur».
«Je voudrais dire aux étudiantes et aux étudiants de s’accrocher à leur rêve, de poursuivre autant que faire se peut leur projet d’études, dans un contexte certes difficile, mais tout de même viable et fonctionnel. Je sais que la situation est difficile pour les étudiantes et les étudiantes, je sais qu’elle l’est aussi pour les professeurs, les enseignants, qui font des efforts surhumains pour innover, pour garder le contact, pour adapter leurs cours au contexte de la pandémie», souligne-t-il.
Il a tenu à le rappeler, les services sont là et disponibles. Notamment au Centre d’aide aux étudiants, «nous sommes à pied d’œuvre pour mieux répondre aux besoins exacerbés par la COVID-19», a répondu par courriel le porte-parole de l’UL, Simon La Terreur. Il confirme que trois professionnels ont été embauchés le mois dernier pour «soutenir les étudiants».
«Mais les services sont saturés et à l’université, on est dans une logique de soutien à la réussite, dénonce pour sa part Emmy Lapointe. Il faudrait que je fasse crasher mes notes pour rencontrer quelqu’un».
«Ce n’est pas parce que la performance [académique] est là que le moral l’est aussi, ce n’est pas lié», l’appuie Nina Tomaszewski.
Selon la CADEUL, il en reste à faire pour «enrayer» la problématique de détresse au sein de la communauté étudiante. De surcroît, l’enseignement continuera de se faire essentiellement à distance à l’hiver 2021 vu l’évolution de la pandémie, a annoncé l’Université Laval.
Conscient que les étudiants au collégial et à l’université «sont en cours à distance depuis plusieurs mois» et qu’ils «manquent l’opportunité de voir leurs amis», le premier ministre du Québec, François Legault, avait laissé planer la possibilité d’un assouplissement pour les rencontres un à un, en conférence de presse plus tôt cette semaine.
«Ce qu’on veut, c’est qu’il y ait un plan d’action rédigé par le gouvernement du Québec et que ce plan s’accompagne des ressources nécessaires. Pas juste des mots et l’air et des enveloppes octroyées à cause de la pandémie» exige Keven Imbeault de la CADEUL.
«Ça ne va pas aller mieux plus le temps avance si on ne fait rien.»
***
Vous ou vos proches avez besoin d’aide?
Info-Social 811 (service confidentiel de consultation téléphonique offert 24 heures par jour, 7 jours sur 7)
Le Centre de crise de Québec au 418 688-4240
Le Centre de prévention du suicide de Québec (si présence d’idées suicidaires) au 418 683-4588
1 866 APPELLE (277-3553)