Chronique|

Vancouver sans point de repère

L'une des vasques olympiques des Jeux de 2010 trône à la Jack-Poole Plaza près de la baie de Vancouver.

CHRONIQUE / Qu’il me manquait ce sentiment de mettre le pied dans l’ailleurs, de regarder une nouvelle ville grouiller tout autour sans point de repère aucun, et d’avoir un terrain de jeu tout entier à découvrir. Je lui manquais aussi, semble-t-il, puisqu’il m’a enlacé fermement à mon arrivée à Vancouver, à ma sortie du métro. Direct! Bam! Aussi raide que l'autobus qui remontait la rue Granville. Elle est bonne, parfois, cette étreinte qu’on n’attendait pas si vite.


Vancouver s’était présentée discrètement à l’aéroport, offrant quelques totems sur le chemin de la sortie. Le SkyTrain, ce métro qui passe des airs au souterrain selon les besoins, relie l’aéroport au centre-ville. Qu’on attend avec impatience le même service à Montréal!

C’était avant la deuxième vague de COVID. Avant d’entrer dans le wagon, on se demandait s’il fallait absolument porter un masque. Les avis semblaient partagés.

Et je suis sorti à la station Vancouver City Center. Sans rien connaître, à cause du nom, je m’imagine bien ne pas pouvoir trouver point plus central.

Elle est étrange, la rue Granville, avec ses enseignes lumineuses d’un autre temps, son tramway, ses bâtiments de petite taille surplombés à une extrémité par des tours imposantes. On ne sait plus, finalement, si on a vraiment frappé le centre du centre-ville. La détresse humaine, aussi, s’endort devant des portes vitrées recouvertes de papier brun. Une semaine plus tard, tôt le matin, presque devant le même commerce fermé, un homme figé quelque part entre le sommeil et l’envie d’ouvrir les yeux se tient immobile, une seringue plantée dans son bras ensanglanté. Vancouver a nulle part où cacher l’infortune de ses concitoyens.

Des fois, on a besoin d’une autre étreinte, longue comme la tristesse de ne pas savoir comment contribuer davantage.

J’ai déposé mes bagages le cœur ambivalent, la joie de l’ailleurs un moment édulcorée.

Mais on ne fait pas connaissance sur des premières impressions. On n’apprend pas à se connaître en cinq minutes non plus. Et pour la familiarisation, c’est toujours à pied que je pars. J’ai besoin de sentir les odeurs, d’entendre le son qu’émet la ville, sa trame sonore, son rythme propre. J’ai envie d’observer les travailleurs, la vitesse à laquelle ils engouffrent leur stress dans leur édifice à bureau ou dans le restaurant pour le lunch. Je veux compter les pas des distances, savoir les portions de ville que je peux franchir sans que mes jambes cessent de me porter.

Vancouver présente des airs de famille avec Toronto, même si elle a l’âme et la personnalité plus définies que la grande ville ontarienne. On sent l’effet calmant des montagnes en filigrane, du plein air qui crie sans bruit à un bras de distance du béton. J’ai senti des accents de Montréal, aussi, en plus vert, on dirait, ou peut-être en plus zen. Mais il y a bien plusieurs quartiers, bien entassés les uns sur les autres, aux allures complètement différentes. Des gratte-ciels, on passe aux plages parfaites pour les couchers de soleil, les barbecues ou les 5 à 7 sur une « tite » couverte.

L’œuvre Digital Orca, de Douglas Coupland, est une curiosité en plein centre-ville de Vancouver.

J’ai toujours une liste de cinq ou six endroits, aussi, que je veux voir. Souvent des broutilles : la statue qu’on illustre toujours sur les cartes postales, le bâtiment à l’architecture funky, le coin de rue d’où la vue est la plus imprenable. Je veux voir où ils sont campés en sachant qu’ils ne me procureront probablement pas des souvenirs impérissables.

C’était le cas du quartier Gastown, de son horloge à vapeur, franchement trop populaire auprès des touristes, qui siffle toutes les 15 minutes. Elle est fascinante à regarder, c’est vrai, mais les Vancouvérois lèvent les sourcils, parfois, en voyant la fascination des étrangers pour cette attraction banale.

Je me suis perdu à vouloir explorer Gastown, mais j’ai trouvé un perchoir agréable adjacent à la gare, une terrasse avec vue sur la baie de Vancouver et une partie de Canada Place.

Canada Place, c’est semble-t-il la version canadienne de l’opéra de Sydney. Ce centre de congrès doublé d’un port pour les bateaux de croisière permet une marche bétonnée ludique sur une grande promenade. Celle-ci représente métaphoriquement les provinces et territoires du Canada en étant divisée en 13 sections. Vous dire à quel point j’ai été surpris qu’on immortalise le nom de Sherbrooke parmi les villes québécoises. On y a aussi trouvé des façons ludiques d’illustrer les deux mètres de distance en s’adaptant à chacune des provinces. Deux mètres, c’est sept pierres de curling ou... dix poutines.

Le clou, pour moi, c’est le Waterfront Center. Parce que je tenais à voir l’œuvre Digital Orca, cet épaulard pixelisé qui semble fait de blocs Lego, une œuvre de Douglas Coupland inaugurée en 2009 et qui, ironiquement, transpire le modernisme. Juste à côté, l'une des vasques olympique de 2010 trône au milieu d’une fontaine à la Jack Poole Plaza. On se souviendra que deux vasques avaient été allumées : une au stade olympique et l'autre au centre-ville. Voir une des vasques, pour moi, c’était (pas vraiment) comme croiser Sidney Crosby... pour moins d’une seconde. C’était un court flashback d’il y a dix ans.

Et il s’est mis à pleuvoir. Comme en février 2010. C’était (pas vraiment) une heureuse coïncidence.

Mais je suis quand même resté là un instant, à regarder se poser les hydravions sur la baie, en pleine ville. C’est unique comme ça, Vancouver. Mais c’est surtout beaucoup plus que cette première exploration sans réelles émotions fortes.

Le Vancouver où je vivrais sans me faire prier, je le découvrirais dans les jours qui suivraient.

* Dans une version précédente, on indiquait que la vasque du stade olympique avait été installée à la Jack Poole Plaza. Il s'agit d'une erreur. Il y avait bien deux vasques lors des Jeux de Vancouver en 2010.