L’employée a souri du regard une seconde, pas assez discrètement pour que ça m’échappe. De sous le comptoir, elle a sorti une bouteille de répulsif. « Si ça peut te rassurer, nous en offrons gratuitement à nos clients. »
Rassuré? Rassuré au moins de savoir que la question valait la peine d’être posée. On ne garde pas du répulsif à l’accueil de tous les hôtels. Il doit bien y avoir une raison pour ça. Des fois, il ne suffit que d’une petite bombonne de rien du tout pour nous faire sentir plus fort qu’on ne l’est.
J’ai donc mis le cap vers l’ouest en demandant au GPS de me mener vers la Trainwreck Trail, cette piste qui mène au site d’un déraillement survenu en 1956. Le hic, c’est que le GPS a lui aussi déraillé, me menant vers nulle part. Et rebrousser chemin sur une autoroute, on se le dira, c’est particulièrement compliqué.
Une zone de virage autorisée plus tard, je me suis fié à mon sens de l’orientation pour trouver le point de départ du sentier, qui n’est pas particulièrement bien indiqué. Avec deux autres randonneurs confus rencontrés sur place, j’ai tiré à pile ou face pour savoir lequel des deux chemins devant moi me mènerait à destination.
« Je d-d-d-danse dans ma tête », avais-je envie de murmurer pour éloigner les bestioles, mais mon public inconnu m’a un peu freiné dans mon élan. Tout Whistler peut leur en être reconnaissant. J’ai plutôt chh-chh-chhanté dans ma tête.
La randonnée facile de 4,5 km aller-retour nous fait traverser la rivière Cheakamus sur un pont suspendu avant d’aboutir là, parmi une poignée de wagons abandonnés, froissés, graffités, reliques qu’on a préféré confier à la forêt où elles se sont abîmées. Une série de wagons en oblique dort dans la pente que forme la rive, recouverts de portraits peints à l’aérosol. Sur un sol plus stable, d’autres caissons métalliques sont rapidement escaladés par les touristes, qui peuvent croquer un cliché insolite au cœur d’une forêt mature autrement très calme.
En 1956, le train était le seul moyen de transport pour les ressources naturelles entre Squamish et Lillooet. Comme tout le monde dépendait du train, le moindre retard faisait des mécontents, explique-t-on sur le panneau d’interprétation installé à l’entrée du pont suspendu.
Le 11 août 1956, le train est parti de Lillooet, à 130 km au nord de Whistler, avec son chargement de rondins. Arrivé en retard à Whistler, l’équipage a choisi de compenser en accélérant la cadence. Mais à deux fois la vitesse habituelle, le convoi n’a pu manœuvrer dans un virage serré. La locomotive a quitté les rails et douze wagons se sont retrouvés hors trajectoire, bloquant le chemin pendant plusieurs jours.
Les cinq wagons récupérables ont été sauvés alors que les autres ont été déplacés, pour dégager les rails, mais abandonnés au milieu de nulle part. Le site est aujourd’hui couru par les artistes, les réalisateurs, les randonneurs et les amateurs de vélo de montagne.
Pour une promenade hors de l’ordinaire, pour meubler une petite heure dans l’horaire, le site vaut certainement un détour.
Si l’arrêt de la catastrophe ferroviaire figurait dans ma courte liste d’incontournables pour une journée à Whistler, le spectacle nocturne Vallea Lumina, lui, s’est ajouté spontanément quand j’ai réalisé que Moment Factory avait déployé sa créativité en Colombie-Britannique. Dans la pure tradition des Foresta Lumina (Coaticook), Tonga Lumina (Mont-Tremblant) et Anima Lumina (Saint-Félicien), le spectacle nimbé d’une aura de mystère et de magie se mêle à la nature, une fois la nuit tombée, en promettant de nous faire décrocher.
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Là, on se lance sur les traces de deux randonneurs disparus qui nous amènent dans une vallée secrète. On les voit dans leur camp, on entend leur signal radio et on suit la légende qu’ils racontent dans des manifestations d’hologrammes et de lumières pareilles à des poussières d’étoiles.
Pour la première fois cette année, on pouvait se rendre directement sur le site de Vallea Lumina en voiture. Pas besoin de navette comme dans le passé. Déjà, pour s’y rendre, on s’enfonce dans la nuit noire et on se couvre d’une petite laine plus que nécessaire. C’est frisquet, Whistler, sans le soleil.
La chanson originale qui accompagne le parcours, avec ses accents country, nous berce bien après l’extinction de toutes les lanternes de Vallea Lumina. C’est là une des forces du parcours : une trame enveloppante qui remplit la pénombre qui court entre les arbres géants.
Ces grands conifères, hauts à s’infliger des entorses cervicales, contribuent à nous faire sentir tout petits, perdus comme les personnages du récit. Mais il n’y a pas, à Whistler, un élément aussi impressionnant que le pont suspendu de Coaticook, magnifiquement intégré à Foresta Lumina. Le parcours bien de chez nous n’a donc pas à rougir devant son équivalent britanno-colombien.
Si vous passez par là, choisir le dernier départ de la soirée permettra peut-être d’échapper aux foules qui, bruyantes et armées de cellulaires, interrompent souvent la magie. En contrepartie, vous ne pourrez profiter des feux dressés près de l’entrée, où il peut être agréable de se poser et de se laisser le temps de sentir vibrer la forêt qui nous entoure.
Fait intéressant : Vallea Lumina a été adapté pour permettre des visites pendant la saison hivernale également.