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Voyager malgré la COVID

En raison de la COVID, j’ai pu passer de Blackcomb à Whistler seul dans ma gondole.

CHRONIQUE / «Comment tu vas faire pour ne pas voyager? » La question qui tue! Comme si avoir une légère dépendance pour le dépaysement me plaçait dans une situation critique maintenant que les frontières sont érigées comme des murs presque infranchissables. Changer d’air, autant pour sa santé mentale que pour encourager des entreprises à bout de souffle, ce n’est pas forcément s’exiler sur un autre continent.


Changer d’air, m’éloigner de l’univers professionnel, des bilans quotidiens du nombre de cas de COVID, des pronostics sur les chances du Canadien de repêcher Alexis Lafrenière, c’est surtout ça qu’il me fallait. Et je suis parti. J’ai même pris l’avion. Oui, voyager, sans paniquer et sans nier la pandémie, ça se peut. Mais il faut être prêt à s’adapter.

Mon premier réflexe aura été de rester au Québec, de remplir le coffre de la bagnole qui s’essouffle facilement sur les longues distances, et de grignoter le bitume jusqu’aux fjords du Saguenay. Les grands espaces et la proximité apaisante de l’eau, partout : la recette parfaite pour le voyageur hypocondriaque en moi.

Voyager au temps de la COVID, c’est croiser le regard d’un inconnu en fermant la portière de la voiture et s’exclamer d’un « citron! » ou d’un blasphème en réalisant que le masque gît encore dans le porte-gobelet. C’est constater, aussi, que le port dudit masque n’est pas contrôlé de la même façon partout. Et c’est tester les effluves pas toujours ragoûtants des désinfectants pour les mains.

Bien sûr, l’expérience s’en trouve transformée. La spontanéité prend le large quand vient le temps de choisir un restaurant pour casser la croûte. Plein presque partout, presque tout le temps, à moins d’avoir réservé. Surtout dans les coquets villages pris d’assaut par les touristes. Il fallait accepter les changements pour les attractions mythiques, comme la Chocolaterie des pères trappistes, qui ne servait le chocolat qu’à un comptoir extérieur, ou le Trou de la fée, fermé en raison d’une caverne trop exiguë.

Si la distance physique teste la patience dans les musées, où certaines salles, à pleine capacité, ne peuvent nous accueillir sur le champ, elle pose un défi encore plus grand dans les attractions familiales. C’est la courtoisie des gens qui fait défaut, alors que les entreprises touristiques ont tout déployé pour assurer une expérience sécuritaire.

Le sociable taciturne en moi a néanmoins apprécié d’avoir son banc à lui tout seul dans le petit train du Zoo de Saint-Félicien, de ne pas être tassé comme une sardine dans sa conserve à Val-Jalbert ou de profiter d’un groupe de taille réduite pour expérimenter la Via Ferrata du parc du Fjord-du-Saguenay.

À part le manque de spontanéité, pour un voyageur qui a perdu l’habitude de réserver avant de chasser l’escampette, les inconvénients liés à la COVID ont été mineurs.

Choisir de m’envoler à l’autre bout du pays, à Vancouver, aura été une décision beaucoup plus réfléchie. Avoir vu plusieurs voyageurs se rendre en Colombie-Britannique et en revenir, profiter des politiques plus que flexibles des compagnies aériennes pour un remboursement en cas d’annulation et la couverture d’une assurance en cas de maladie auront fait pencher la balance. Ça et le fait qu’on n’exige pas la quarantaine, ni à Vancouver ni à Montréal, après un vol entre les deux villes.

J’ai réservé environ trois semaines avant le départ, me croisant les doigts pour que le vilain virus ne connaisse pas une nouvelle flambée.

Les mesures sont strictes pour pouvoir monter dans les petits trains du Zoo de Saint-Félicien et de Val-Jalbert (notre photo).

Le jour du départ, la désertion de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, bien que dommageable pour les industries aériennes et touristiques, m’a un peu rassurée. Entre la voiture et la porte d’embarquement, il fallait compter vingt minutes tout au plus, processus de sécurité inclus.

Sachant qu’on passera les six, sept ou huit prochaines heures avec un masque sur le pif, on s’étonne à chercher lequel des masques, dans notre collection qui ne cesse de prendre de l’ampleur, sera le moins inconfortable. Fiez-vous à l’expert : évitez les tissus hivernaux. Mais n’ayez crainte, dans l’avion, on vous en distribuera un qui soit léger et pas conçu pour passer l’hiver en Arctique.

Bref, l’interdiction pour les non-voyageurs d’entrer dans l’aéroport rend la navigation dans l’aérogare beaucoup plus agréable. Le processus d’enregistrement est si rapide qu’on se demande pourquoi on ne l’a jamais simplifié avant. Il suffit de scanner la carte d’embarquement et l’étiquette des bagages s’imprime toute seule.

Avant de passer la sécurité, on prend la température de tous les voyageurs. Brin de nervosité. On ne veut pas découvrir que la fièvre nous afflige.

Avec un nombre réduit de voyageurs, on passe la sécurité sans encombre. Et dans l’avion, autant que faire se peut, on cherche à garder une distance entre les voyageurs, même si ce n’est pas toujours possible.

Pour le grognon qui prend toujours le siège de l’allée, la réduction à un seul service de rafraîchissement n’a rien de désagréable. Ça signifie seulement qu’on ne se prendra pas le chariot des agents bord derrière la tête une fois qu’on se sera assoupi en débordant un peu trop vers le passage.

Alléluia! Deux mètres de distance entre les voyageurs au carrousel à bagages, c’est LA mesure qu’on devrait garder après la pandémie.

En Colombie-Britannique, bien que le port du masque soit suggéré partout, il n’était pas encore obligatoire quand je suis arrivé. S’il l’est désormais dans le transport en commun, presque tous le portaient déjà dans le bus et le SkyTrain. Les restaurants, eux, prenaient les coordonnées de tous les clients au cas où la maladie frapperait.

Mine de rien, garder certains étrangers à distance, réduire le nombre de voyageurs dans les dortoirs des auberges de jeunesse et grimper les montagnes de Whistler fin seul dans ma gondole, franchement, la pandémie aura rendu certaines expériences beaucoup plus agréables.

Mais il ne faut pas se leurrer et il ne faut pas se mentir non plus. Il y a bien cette petite angoisse quand un autre client de l’auberge s’arrache les poumons en entrant dans la cuisine. On s’interroge honnêtement à savoir qui nous accueillera, si on présente des symptômes, alors que les établissements hôteliers, les épiceries et les restaurants nous demandent de rester à distance dès les balbutiements d’une petite toux. Et oui, je me suis pris à me demander si l’édredon, sur le lit, était changé aussi souvent que le prescrit la Santé publique.

Voyager malgré la COVID? Certainement! Mais pas n’importe où, pas n’importe comment et pas sans les plus élémentaires règles de prudence.