Le problème dans l’étude de la rougeole provient du fait que la maladie laisse peu de traces pathologiques sur les restes humains et que les signes de rougeole peuvent facilement être confondus avec ceux de la variole. D’autant plus que les premiers écrits médicaux antiques sont très sommaires dans leur description de la maladie.
La peste d’Athènes, en 430 avant notre ère, l’épidémie frappant l’armée athénienne à Syracuse en 413 avant J.-C. et la peste de Cyprien en l’an 250 ont souvent été attribuées à des épidémies de rougeole. Toutefois, les spécialistes des maladies infectieuses rejettent aujourd’hui ces interprétations. Selon une description sommaire, la première épidémie de rougeole en Occident serait survenue en 455-456 en Autriche. La population de la région fut alors frappée par une grave épidémie respiratoire causant une inflammation des yeux et des rougeurs sur tout le corps.
Jusqu’au 10e siècle, les médecins et les chroniqueurs avaient tendance à la confondre avec la variole. Rhazes, philosophe et médecin perse, fut le premier à distinguer clairement les deux maladies dans un traité portant sur la rougeole publié en 910. Au Japon, où la rougeole était considérée comme une maladie nouvelle, l’infection fut très précisément décrite en 998.
En contrepartie, les chroniqueurs anglais médiévaux avaient tendance à décrire la rougeole comme un fléau de nature incertaine et à la percevoir comme une forme de lèpre. Il faut attendre le 16e siècle pour obtenir une description très nette de la maladie et de son mode de propagation. Un peu comme le coronavirus, cette infection se transmet facilement de l’un à l’autre lorsqu’une personne infectée tousse ou éternue. Dans le cas de la rougeole, ces gouttelettes peuvent rester en suspens dans l’air pendant des heures.
Les victimes de la rougeole connaissent une période d’incubation de 10 à 14 jours avant que les premiers symptômes apparaissent. Les signes avant-coureurs durent une semaine et comportent principalement de la fièvre, une toux sèche et une conjonctivite. Cette phase est suivie par l’apparition de taches blanchâtres et bleuâtres et de minuscules lésions blanches sur la muqueuse de la bouche et dans le vagin. Puis, le patient assiste à une éruption cutanée rouge, sur le visage et derrière les oreilles, qui se propage sur tout le corps. Dans de rares exceptions, la maladie provoque une encéphalite. Cette infection bactérienne provoque chez 15 % des patients une otite, une inflammation des ganglions lymphatiques ou une pneumonie. Dans de rares exceptions, la maladie provoque une encéphalite.
Les populations développent une forte immunité contre cette maladie au fil des décennies. Par exemple, dans les sociétés occidentales contemporaines, le taux de mortalité des personnes infectées n’est que de 0,06 %. Dans les régions n’ayant jamais contracté la maladie, le taux de mortalité atteint par contre les 27 % des malades. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit au Mexique et en Amérique centrale en 1531-1532.
Dans le cadre des échanges colombiens, les Espagnols apportèrent la variole et la rougeole dans le Nouveau Monde. Les signes de la variole apparurent au Mexique dès 1515 et au Pérou en 1524. La première épidémie de rougeole en Amérique survint à Cuba en 1529, où elle emporta les deux tiers de la population indigène qui avait survécu à la variole. Deux ans plus tard, une épidémie de rougeole ravagea le Mexique et l’Amérique centrale, où le taux de mortalité atteignit 50 % de la population, avant de s’abattre sur l’Empire inca.
Pendant des siècles, ces deux maladies allaient ensuite décimer les populations indigènes. Comme ces populations n’avaient aucune immunité naturelle contre ces deux maladies, ces dernières devinrent des tueuses en série. Les populations indigènes des Amériques chutèrent de près de 95% en 150 ans.
Le virus de la rougeole est très tenace et meurtrier. Les épidémiologistes estiment que la rougeole a tué 200 millions de personnes dans le monde entre 1850 et 2000. Heureusement, Thomas C. Peebles a finalement identifié le virus de la rougeole en 1954. Cela a permis de produire dès 1963 des vaccins à grande échelle.
En 1963, la rougeole tuait encore 2,6 millions de personnes dans le monde par année. Grâce au vaccin, elle fut éradiquée dans la plupart des pays développés en tant que maladie épidémique. Et lorsqu’une épidémie survenait, le taux de décès restait minime.
Néanmoins, dans les régions non vaccinées des pays en développement les plus pauvres, particulièrement en Afrique, le taux de mortalité atteint encore les 10 % des personnes contaminées. Cette redoutable maladie cause encore entre 150 000 et 200 000 décès annuellement. Or, il en coûte environ 100 dollars pour faire vacciner un enfant, et peu de familles dans les pays en développement en ont les moyens.
Gilles Vandal est historien de formation et professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.