Au bout du fil, le directeur général du Grand Marché de Québec, Daniel Tremblay, laisse échapper un long soupir. «Honnêtement, on va se conformer (aux directives), on n’a pas le choix, mais on n’aide pas beaucoup les commerçants. Ce n’est pas une nouvelle réjouissante pour le commerce de détail. Je ne crois pas que ce soit un incitatif pour que les gens viennent (nous voir), au contraire.»
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Avec ses nombreuses entrées, le Grand Marché s’avère un endroit où il sera difficile de contrôler tous les visiteurs, estime M. Tremblay. Il n’exclut pas l’embauche de personnel afin de veiller à l’application de cette nouvelle directive.
«Il va falloir contrôler tout le monde. S’il y en a qui arrive pas de masque et qu’il se fait prendre, c’est le marché qui va avoir l’amende. Il va falloir avoir des yeux tout le tour de la tête et jouer à la police.»
Propriétaire du restaurant La Scala, sur le boulevard René-Lévesque, Marc-Antoine Munoz ne mâche pas ses mots à l’égard de cette mesure sanitaire. Lui aussi craint une désaffection des clients, même si le gouvernement Legault a indiqué lundi que les convives pourront enlever leur masque une fois attablés dans l’établissement.
«À mon humble avis, je trouve ça ridicule. Le gouvernement va trop loin. Quand il y avait 1000 cas de contagion chaque jour, on nous disait de ne pas en mettre (de masque); maintenant qu’il y en a une centaine, il faut en mettre un. Il n’y a pas de logique (…) Je ne veux pas me battre avec les clients. S’il y en a qui refusent de porter de masque, je fais quoi?»
Cette nouvelle directive risque d’être le dernier clou dans le cercueil de plusieurs restaurateurs, estime M. Munoz. «D’après moi, ceux qui étaient sur le point de fermer vont fermer. Moi, ça fait 21 ans que je suis propriétaire de ma bâtisse. Mes affaires sont payées. Ça aide énormément. Mais j’ai beaucoup de confrères restaurateurs qui m’ont dit qu’ils étaient presque sûrs de fermer en septembre.»
Bâtons dans les roues
«On va s’adapter, on va suivre les règles, on n’a pas le choix, lance Camil Lacroix, propriétaire du restaurant Chaz de l’avenue Maguire. «Mais les clients qui ont peur, je pense qu’ils vont rester chez eux.» Lui également s’interroge sur la façon de gérer le port du masque chez les clients, par exemple lors de leur visite aux toilettes.
Puisque le nombre de cas de contagion varie d’une région à l’autre, M. Lacroix s’interroge sur la pertinence d’obliger tous les Québécois à porter le couvre-visage. «C’est sûr que ça nous met des bâtons dans les roues. Ça aide pas.»
Il va falloir contrôler tout le monde. S’il y en a qui arrive pas de masque et qu’il se fait prendre, c’est le marché qui va avoir l’amende. Il va falloir avoir des yeux tout le tour de la tête et jouer à la police
Même son de cloche à la Société de développement commercial (SDC) Saint-Sauveur, où la directrice générale Marylou Boulianne explique qu’il s’agit d’une nouvelle contrainte pour les commerçants. «Ça ajoute une couche de plus. C’est sûr que ce sont de gros règlements. Il faut gérer les files d’attente, les mesures d’hygiène, et maintenant le port du masque. Ça fait comme beaucoup. En même temps, je pense que tout le monde comprend la situation dans laquelle on se trouve. On ne veut pas qu’il y ait une deuxième vague.»
À l’inverse, ce ne sont pas tous les commerçants qui sont dépités par le port obligatoire du masque. Maryse Dubeau, gérante du magasin de tissus Fabricville, dans le quartier Vanier, voit la directive «d’un très bon oeil».
«On suivait déjà religieusement les règlements de la CNESST, celui-là, on va le suivre aussi, confie-t-elle. De 50 à 60 % de sa clientèle portait déjà le masque. «Ça va passer à 100 %. Et nos clients nous en remercient.»
Période de carence
De son côté, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a indiqué lundi dans un communiqué qu’elle respectait la décision du gouvernement, alors qu’«il est minuit moins cinq avant qu’une deuxième vague de contagion de la COVID-19 ne survienne», mais que demander à la petite entreprise «d’être entièrement garante des actions des consommateurs, qui pourtant échappent à son contrôle raisonnable» lui apparaît comme «pas très équitable».
Par conséquent, l’organisme, qui compte 110 000 membres dans toutes les sphères d’activités au pays, demande une «période de carence» au gouvernement avant l’imposition des amendes qui peuvent varier de 400 $ à 6000 $. Pour la FCEI, les commerçants n’ont pas à se substituer à la police.
«(…) Seulement 20 % des entreprises québécoises réalisent à nouveau leurs revenus habituels pour cette période de l’année. Beaucoup ne peuvent donc pas se permettre de perdre des clients et se chargeront de fournir l’équipement nécessaire à leurs propres coûts. D’autres ne veulent tout simplement pas être obligés d’expulser un client ou de lui refuser un service, s’ils pensent que cela mènera à une altercation. L’expulsion physique d’une personne devrait uniquement relever du ressort des forces de l’ordre.»