Qu’est-ce qui changera après la pandémie? La santé publique, dont on a jamais autant parlé, sera-t-elle mieux financée? Sera-t-elle une priorité parmi toutes les priorités financières? Cofondateur de Jeunes médecins pour la santé publique, le Dr David-Martin Milot assure que le regroupement de médecins sera là pour faire entendre son plaidoyer... qu’il tentait de faire entendre lors des coupes importantes survenues dans ce domaine en 2015. La Tribune s’est entretenue avec différents spécialistes sur cet enjeu encore méconnu.
« Je peux vous dire qu’on va être là, on va se préparer quand ce sera plus calme. Il y aura une opportunité pour livrer un plaidoyer – qu’on fait depuis longtemps – pour un meilleur investissement en santé publique. »
L’enjeu demeure méconnu de la population et des décideurs, estime Dr Milot, médecin spécialiste en santé publique et en médecine préventive à la Direction de la santé publique de la Montérégie.
C’est que le spectre est large : on pense autant à la prévention de maladies infectieuses comme la COVID-19 que la contamination de l’eau par le plomb... jusqu’au développement en petite enfance.
« On est invisibles, constate le Dr Alain Poirier, directeur de la santé publique de l’Estrie. Quand ça marche, la prévention, on ne la voit pas. L’invisibilité de la prévention, c’est notre problème universel de tous les temps. Quand devient-on visible? C’est quand on a une maladie aiguë... La santé publique (SP), nous sommes invisibles et nous ne sommes pas pris au sérieux », dit celui qui a notamment travaillé sur la crise de la H1N1.
Pas de doute : la santé publique est l’un des enfants pauvres en termes de financement, un peu comme la santé mentale ou buccale, convient Erin Strumpf, économiste de la santé et épidémiologue à l’Université McGill.
Les coupes effectuées en 2015 par le gouvernement provincial ont fait mal : 23,5 M$ ont été amputés dans le budget de la santé publique et les budgets des directions de santé publique régionales ont été réduits de l’ordre de 33 %. Mais il y a plus que ces coupes dont on parle encore.
Selon des données de 2019 citées par la professeure, le Québec est l’une des provinces où les dépenses en SP sont les plus basses dans le budget global de la santé.
Les spécialistes de la santé publique se sont aussi retrouvés en pleine réorganisation, à l’instar de l’ensemble du réseau de la santé.
Aujourd’hui, on peut tout de même y voir certains points positifs, croit Dr Milot, comme une meilleure communication entre certains centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) et centres intégrés en santé et services sociaux (CISSS), même si ce n’est pas le cas partout.
Le même tableau au pays
En 2017, des spécialistes sonnaient l’alarme, cette fois à l’échelle canadienne : la santé publique « est dans un état de siège dans de nombreuses provinces au Canada, où elle a été affaiblie et marginalisée au point de ne pas être pleinement efficace. Sans un changement marqué, nous croyons que les systèmes de SP seront de plus en plus sous-performants et deviendront incapables de répondre entièrement à notre besoin », écrivent les auteurs, dont Dre Ak’ingabe Guyon, professeure adjointe de clinique de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
Dans un éditorial du Canadian Journal of Public Health, les experts exposent l’affaiblissement de la santé publique comme une menace pour la santé des populations et la viabilité de soins de santé, « 15 ans après le SRAS et l’appel à renforcer la santé publique dans le document phare que fut le rapport Naylor ».
Dans cet éditorial, Dre Guyon et ses collègues montrent notamment du doigt les tentatives de saper l’indépendance des directeurs de la santé publique et médecins-hygiénistes et leur capacité de s’exprimer sur les questions d’intérêt pour la santé publique.
« Dans plusieurs provinces, des DSP ont été démis de leurs fonctions sans motif valable, apparemment pour avoir osé parler et mettre en doute les politiques du gouvernement (...) », peut-on notamment lire.
Dénoncer les coupes en SP était mal vues, se remémore le Dr Milot, qui est aussi professeur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.
Lui et des collègues avaient fait une tournée des régions pour avoir un meilleur portrait de la situation.
« Il faut se rappeler qu’il y avait un climat d’omerta. On s’est fait fermer la porte (...) J’étais résident, je me suis fait menacer d’avoir des répercussions sur mon parcours. »