Il court un cœur géant de 175 km

Sébastien Roulier devait être à Boston, lundi, pour la 124e édition du marathon de l’endroit. L’événement a été reporté, alors le pédiatre s’est trouvé un autre défi. Dans son chariot, il avait tout son matériel.

Sébastien Roulier n’a jamais reculé devant aucun défi. Celui qui devait être à Boston lundi, pour la présentation de la 124e édition du plus vieux marathon au monde, s’est plutôt lancé le défi de tracer un cœur géant... de 175 km, dessiné à partir d’un parcours qu’il a emprunté sur les chemins de l’Estrie.


L’intensiviste-pédiatre du CIUSSS-Estrie-CHUS est un habitué des longues distances.

Sa passion de la course à pied le fait constamment repoussé les distances. Il a complété 58 marathons, il en a gagné neuf. Il a représenté le Canada dans cinq courses de Championnats mondiaux d’ultra-marathons en sentiers et sur route.

Avec l’annulation des courses au programme au moins jusqu’à la fin du mois d’août, Roulier se cherchait un autre défi.

« L’annulation de toutes les courses organisées ne m’a pas dérangé. À ce jour, j’ai exploré la course sous plusieurs facettes et c’est souvent les défis personnels ou ceux en duo qui m’ont le plus satisfait. Le 5 avril dernier, j’ai couru une distance de 120 km en 13 h 30 pour dessiner mon premier cœur. Alors que le gouvernement nous demande de ne pas voyager dans une autre région du Québec, je me suis dit : pourquoi ne pas visiter ma région? Aussi, avec les règles de distanciation sociale, je me suis imposé de transporter tout ce dont j’aurais besoin », relate l’athlète de 46 ans.

« Je ne m’ennuie jamais de la course, j’en fais toujours quand même. Les deux premières semaines de la pandémie ont été plus chargées, comme gestionnaire, mais tranquillement on trouve un rythme. C’est plus tranquille dans les hôpitaux, j’ai un peu de temps, les fins de semaine. Et comme on doit rester dans notre région, samedi matin je me suis dit, pourquoi pas? Je suis parti l’après-midi même! », a-t-il dit en riant. 

Cette idée de dessiner un cœur en géolocalisant son parcours lui vient de sa fille.

Sébastien Roulier lors de sa course de 175 km autour de Sherbrooke.

C’était même un défi qu’il s’était lancé, il y a deux ans, avant de compléter le tracé... en taxi.

« Il y a deux étés, j’avais dit à ma fille que je voulais faire un grand trajet, alors elle m’a suggéré la forme d’un cœur, l’idée est un peu partie de là. J’ai donc fait sensiblement le même parcours qu’à l’époque. Il y a deux ans, je m’étais imposé la restriction de passer par Orford, et d’y coucher. J’ai quitté mon domicile à 17 h, mais la nuit a été difficile à Orford. Quand je me suis levé le matin, j’étais épuisé et il me restait une centaine de kilomètres à faire. J’ai quand même fait 90 km, mais pour les dix derniers kilomètres, je suis finalement rentré chez moi en taxi », s’est-il remémoré.

« Il y a deux semaines, j’ai fait une course de 120 km en autonomie; ça se faisait bien en sac à dos, mais c’était un peu lourd. Je savais que si je voulais augmenter la distance, je devais le faire en chariot. Comme celui que je me suis servi pour pousser mes enfants. Je l’ai poussé pendant 175 km. Il contenait mon linge, entre autres pour la nuit, un manteau pour la pluie, une tuque, un cache-cou, des mitaines, une autre paire de souliers, tous mes breuvages et ce que voulais manger. La contrepartie, c’est qu’il faut pousser! »

Après avoir poussé ses enfants lors des premiers marathons auxquels il a pris part, Sébastien Roulier a modifié l’expérience et il a même établi deux records Guiness en duo, pour un demi-marathon et pour un marathon, avec sa copilote d’alors, Marie-Michelle Fortin, atteinte de paralysie cérébrale.

Maintenant, Roulier aimerait rouler 100 km en duo, cette fois avec son nouveau partenaire, Samuel Camirand.

Le parcours de 175 km effectué par Sébastien Roulier cette fin de semaine avait la forme d’un cœur.

Signification du cœur

Le cœur géolocalisé de Sébastien Roulier a une profonde signification, surtout dans le contexte actuel, confirme-t-il.

« Quand ma fille m’a proposé l’idée, j’ai bien aimé, et c’est pourquoi c’est resté pour cette année aussi. Je trouve qu’avec ce qui se passe présentement, c’est une image qui est forte. L’arc en ciel aurait été plus difficile à dessiner! La signification est forte, c’est plus que courir pour courir. Quand je fais ma course, je sais où je suis rendu dans mon cœur, ça change tout, ça motive et ça me force à vouloir compléter mon cœur. En fait, c’est un peu ce qu’on peut souhaiter à tout le monde : on veut être heureux, on veut la santé et l’amour », a-t-il simplement dit.

Travailler, malgré tout

La crise de la COVID-19 évolue chaque jour. Ce sont maintenant les CHLSD qui sont dans la ligne de mire des principales mesures d’intervention.

Les besoins sont criants, et urgents. Ce qui a provoqué une prise de bec entre le premier ministre du Québec François Legault et la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) la Dr Diane Francoeur, sur le coup de pouce attendu des médecins spécialistes pendant la crise.

« Les taux d’hospitalisation sont très faibles. Dans les hôpitaux, en tout cas en Estrie, aux soins intensifs en pédiatrie, c’est très tranquille. Il y a beaucoup de choses qui ont été annulées dans les services. C’est même un peu trop tranquille pour des médecins qui aiment recevoir leurs patients! »

« Depuis le début (de la crise), nos associations, et la FMSQ, nous demandaient nos disponibilités afin, éventuellement, de donner un coup de pouce. Parce que tout le monde a vu sa charge de travail diminuer. Pour ma part, le changement a été minime, puisque c’est mon rôle de gestionnaire qui a pris un peu plus de place. J’ai travaillé une centaine d’heures, par semaine, dans les premières semaines de la pandémie, mais ce n’était pas 100 heures rémunérées. La demande, de nos associations, c’était d’attendre de voir où se situeraient les principaux besoins. C’est sûr que d’entendre le premier ministre dire ce qu’il a dit, c’était surprenant, car on est prêt depuis le début à offrir notre aide », a précisé le Dr Roulier.

La semaine dernière, François Legault a demandé aux médecins spécialistes et aux omnipraticiens de prêter main-forte dans les CHSLD de la province afin de soigner, nourrir, et même de laver les patients de ces établissements.

« Maintenant, est-ce que nous sommes les bonnes personnes pour faire le travail demandé? C’est un autre problème selon moi. Je ne suis pas formé comme préposé, ou comme infirmier, et chacun a ses spécificités; d’habitude, on travaille en équipe et chacun amène une vision différente pour les patients », a déclaré Sébastien Roulier.

« Pour avoir déjà accueilli Sébastien Camirand chez moi, lui qui est atteint d’ataxie de Friedreich, j’ai vite réalisé, quand il est venu dormir chez moi, que non seulement mon milieu de vie n’est pas du tout adapté pour lui, mais je ne savais pas comment l’aider correctement. L’une des premières fois que je l’ai transporté hors du véhicule, il a fini par terre! Je ne l’ai pas retenu, en voulant me déplacer, et tranquillement il a glissé et je n’ai pas réussi à le retenir et on a fini par terre tous les deux, ça nous a beaucoup fait rire! »

« C’est une expertise que je n’ai pas; je ne suis pas formé, mais je peux apprendre par contre. En situation extrême, je peux apprendre rapidement. »

Un grand territoire à desservir

Sébastien Roulier argue également qu’il doit demeurer à son poste, pour éviter les débordements et prévenir toute urgence.

« Nous sommes cinq intensivistes en pédiatrie pour couvrir un territoire qui va de Saint-Hyacinthe et Saint-Jean à l’Ouest, en passant par l’autoroute 20 jusqu’à Drummondville et jusqu’à Victoriaville, et on passe par Lac-Mégantic. On couvre une bonne région. Tous les jeunes patients, ils viennent au CHUS dans nos soins intensifs. Je ne peux pas me permettre d’aller en CHSLD et de faire par la suite une quarantaine de plusieurs jours, car ça veut dire que je ne peux pas être de garde. À cinq personnes, le tour revient rapidement. Je n’encourage pas les membres de mon service à aller là, même si c’est une clientèle que j’affectionne particulièrement. Je suis pédiatre intensiviste, et je ne crois pas que c’est le meilleur endroit pour moi. Il y a des choses que je peux faire pour aider quelqu’un qui pourrait par la suite donner un coup de main. »

La pandémie et ses lendemains auront des répercussions, à coup sûr. Pour tout le monde.

« Toutes les courses annulées, le calendrier est vide. Le marathon de Boston a été reporté en septembre. Vais-je y participer? Il faudra voir rendu là quelles seront les permissions de voyage, de sorties du pays. Il y a un risque, quand même, et des conséquences. Si on impose une quarantaine au retour, ce que j’entrevois, c’est sûr que je ne prendrai pas la chance d’y aller. On va voir comment tout ça va évoluer », a philosophé le pédiatre.

Sébastien Roulier lors de sa course de 175 km autour de Sherbrooke.