Le spécialiste des communications et de la gestion de crise Marc D. David, de l’Université de Sherbrooke, l’a dit : le premier ministre Justin Trudeau donne l’impression de réagir plus qu’il n’agit depuis le début de la pandémie de la COVID-19. Une question de perceptions, certes, qui jette de l’ombre sur tout le travail qui se fait en coulisse pour gérer autant ce qui se produit sur notre territoire qu’à l’étranger.
Sauf que pour plusieurs voyageurs, qui se méfient parfois plus du gouvernement que des virus qui pourraient les clouer entre quatre murs, le manque de limpidité du message peut faire toute la différence entre le choix de partir avant ou pendant une pandémie. De l’autre côté de la médaille, rappelons-nous aussi que notre soif de voyager ne nous rend pas invincibles. Pas une seule seconde.
Par excès de confiance, certains voyageurs ont tendance, à tort, à se méfier des avertissements concernant leur destination publiés par le gouvernement du Canada. Eux autres, on les trouve au voyage.gc.ca. Ils sont utiles pour connaître les conditions d’entrée à l’étranger, mais aussi pour cibler rapidement les risques pour notre sécurité.
On se méfie quand on s’est prélassé en Inde ou quelque part en Afrique, dans un pays marqué de l’avertissement « Faites preuve d’une grande prudence », et que la plus grande menace rencontrée se situait quelque part entre les fleurs du tapis et le piment brûlant dans le cari trop épicé. Sauf que c’est probablement parce qu’on s’est montré grandement prudent, justement, qu’on a évité les pépins. Parfois, c’est simplement un mélange de l’alignement des planètes et des marées qui nous a épargné un gros caillou dans le soulier.
J’étais de ceux-là. Je regarde pourtant toujours ce que le gouvernement suggère. Sauf une fois. Une fois que j’ai réservé un billet pour l’Éthiopie sans voir la mention « Évitez tout voyage non essentiel ». Rien arrivé. Rien arrivé de bien méchant. Sauf un chauffeur, une fois, qui s’est mis à suer à grosses gouttes parce qu’on roulait encore quand la nuit est tombée. C’est dangereux, mais… Rien arrivé.
Rien arrivé jusqu’au lendemain de mon départ, où un touriste s’est fait assassiner sur un volcan où j’avais passé une nuit. Ce risque-là, dans les avertissements aux voyageurs, on en faisait mention. Le gouvernement canadien avait raison. Il rédige ses avertissements pour protéger ses ressortissants. Partir quand même, c’est donc prendre un risque qu’on ne peut imputer à personne d’autre.
Le rapport avec la COVID-19? C’est qu’une fois que Justin Trudeau a recommandé aux Canadiens de demeurer à la maison, le message aurait dû être clair. Plusieurs sont partis quand même. Il y a un problème avec le message quand on ne prend pas le premier ministre au sérieux. Un problème dans la transmission du message, mais surtout dans la façon de le décrypter.
Quand je me suis demandé à la mi-mars si je devais m’envoler quand même dix jours plus tard, le fier détenteur d’un billet d’avion pour la Louisiane en moi a hésité à appuyer sur le bouton Reset. À ce moment, les frontières filtraient les voyageurs au rythme habituel. Rien de concret dans les aéroports. Le virus avait atteint l’Europe. Le Canada frémissait à peine. Il était encore difficile de savoir qui paniquait et qui faisait preuve de raison. Donald Trump avait fermé les frontières avec l’Europe sans prévenir, ce qui alimentait encore davantage la confusion.
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Dans la communauté des baroudeurs, sur internet, on appelait déjà à la prudence. Annulez tout, disaient les plus prudents du lot. Sauf que les avertissements aux voyageurs n’avaient pas bougé encore. Les assurances ne remboursaient pas ceux qui « cédaient à la peur ». Ce qui me retenait, les premiers jours, c’était le portefeuille, les sommes investies pour enfin flotter dans les bayous. Si j’avais dû partir dix jours plus tôt, j’aurais été plus embêté de trancher, même si ma tête me commandait de rester chez moi. Pour la Chine et l’Italie, la réponse aurait pourtant été instantanée.
En rétrospective, avertissement en vigueur ou pas, le choix était clair : partir représentait un trop gros risque. Ce serait trop facile de ne blâmer que le gouvernement du Canada pour un choix qui nous revient individuellement. Et comme voyageur, on ne peut pas cracher dans le micro d’une télévision que ce n’est pas un virus qui nous privera de nos vacances et réclamer en pleurant, quelques jours plus tard, qu’on nous ramène derechef à la maison.
Voyager est un privilège. Un privilège qu’il faut savoir mettre de côté en temps de crise. Il nous revient d’emblée à nous, et juste à nous, de nous informer plutôt que de risquer de nous enfoncer les deux pieds profondément dans les plats.
Comme voyageurs, nous savons pertinemment que les frontières ne sont qu’imaginaires. Qu’elles n’arrêtent ni la pollution, ni les feux, ni les ouragans. Surtout, elles ne nous arrêtent pas nous. Du moins, pas souvent. Alors comment auraient-elles pu freiner un virus?
La seule excuse qu’on aurait pu évoquer, et qui sonne déjà faux aujourd’hui, c’est qu’on ne pouvait pas savoir à quelle vitesse la pandémie se répandrait.
Faut-il attendre l’interdiction complète de sortir du pays pour comprendre que nous ne pourrons peut-être pas y remettre les pieds rapidement si le malheur continuait de s’abattre? La réponse est non. Quand la chaleur monte, qu’on sent la fumée, pas besoin d’attendre les flammes pour savoir qu’il y a le feu.
À tout événement, la pandémie nous rappelle aussi qu’il est prudent, en tout temps, de s’inscrire comme Canadien à l’étranger sur le site du gouvernement du Canada. Parce qu’en cas de maladie, de catastrophe naturelle ou d’autres risques pour notre sécurité, quelqu’un saura où nous chercher. Même si on dort paisiblement au fond d’une jungle sans savoir que le reste du monde prépare la guerre, chez nous, quelqu’un travaillera peut-être déjà à nous retrouver avant qu’on appelle à l’aide. Réapprenons la prudence.