Chronique|

Despacito et l’art de San Juan

Dans le secteur Miramar du quartier Santurce, l’art mural est à l’honneur.

CHRONIQUE / San Juan, la capitale de Porto Rico, s’est trouvé un penchant pour la séduction. Un gros penchant. Elle savait déjà faire craquer les gourmands, avec sa cuisine riche et ses cocktails, mais elle a appris à s’offrir autant pour les yeux que pour le ventre.


C’est que San Juan a l’âme d’une artiste. Elle sait agencer les couleurs de ses bâtiments, dans la vieille ville, mais se laisse aussi aller dans l’art de rue sous toutes ses formes, sans oublier ses musées, qui présentent toutefois un intérêt variable.

Dans Santurce, deux des principaux musées s’offrent une lutte inégale. Le Musée d’art contemporain, ayant pignon sur rue dans une ancienne école de l’avenue Ponce de Leon, n’a d’intéressante que l’architecture du bâtiment. Ou presque.

L’édifice néoclassique, avec ses colonnes entourant une cour intérieure, contraste avec le beige des employés du musée, qui, ce jour-là, s’emmerdaient profondément. Pas de visiteurs, donc pas de sourires. Ils se traînaient les pieds, l’ennui comme deux lourds boulets les empêchant de faire de grandes enjambées. Mais pour dire vrai, à part deux œuvres magistrales aux accents féministes, les installations ne valaient pas vraiment le coût d’entrée.

Tout le contraire du Musée d’art de Porto Rico, plus sobre dans le nom, mais ô combien plus intéressant dans son ensemble. L’édifice, un ancien hôpital, a la façade barbouillée de jolies fresques. On nous vante, oui, le jardin botanique des sculptures, qui tombe un peu à plat dès qu’on a la moindre attente. Mais les expositions permanentes, elles, qui rendent entre autres hommage à des artistes portoricains, notamment José Campeche et Francisco Oller, sont assez variées.

Gros coup de cœur, dans les expositions permanentes, pour l’œuvre Jusqu’à ce que la mort nous sépare (Hasta que la muerte nos separe) d’Anaida Hernandez, qui symbolise la diversité portoricaine en plus de résumer, en une centaine de petits tableaux, l’essence de la pluralité observable dans le musée. On passe aussi du classique au kitsch, dans une pièce rappelant un salon de barbier bourré d’objets issus de l’imaginaire des migrants, jusqu’à la modernité, comme ce portrait de Jésus pixelisé auquel un symbole propre à Instagram, un cœur, a été ajouté. 

Parce qu’il fait presque toujours soleil à Porto Rico, l’art visuel se transporte par ailleurs dans la rue, dans le secteur de Miramar, toujours dans le quartier de Santurce. Si on a la plante des pieds endurcie, on peut marcher des musées aux murales, même si l’ambiance un peu plus malfamée des rues de Miramar donne envie de camoufler le portefeuille dans nos caleçons.

J’exagère! 

Mais je n’ai croisé aucun touriste lors de ma promenade ce jour-là. Les individus qui surgissaient des ruelles à l’occasion avaient le don de me faire sursauter. Et d’autres touristes m’ont avoué leur malaise à s’aventurer dans ce secteur pourtant reconnu pour ses fresques murales. Certaines d’entre elles sont particulièrement réalistes même si elles font trois ou quatre étages de haut. Il faut même penser à avoir des yeux tout le tour de la tête pour ne rien manquer. Même si le secteur aux murales est petit, les plus belles œuvres sont parfois cachées derrière nous.

En sortant du quadrilatère, on croisera le parc de la Hoare, une jolie place gazonnée où on arrive difficilement à se poser, les bancs étant occupés par des sans-abri ensommeillés. 

Pour peu qu’on ait vraiment envie de suer sa vie, on peut continuer la promenade (longtemps) pour aboutir à ce qui m’est apparu comme la plage la plus intéressante près de la vieille ville, la plage La Ocho, presque dissimulée derrière un stade.

En poursuivant le long de la mer, un peu plus loin dans la vieille ville, après les murales qui longent la rue Norzagaray, on aboutira au quartier La Perla, fortement déconseillé une fois la nuit tombée. Mais quand on dit que San Juan a reconnu l’importance de l’art pour se relever les manches et revitaliser ses quartiers, on le constate dans La Perla, où le vidéoclip de la chanson Despacito a été tourné. 

Le quartier La Perla, dans la vieille ville de San Juan, a été le lieu du tournage pour le vidéoclip de <em>Despacito</em>.

Je suis descendu deux fois dans La Perla. Pas vu Luis Fonsi. Pas vu de jeunes danseuses aux longs cheveux synchroniser leurs mouvements sur des rythmes latins non plus. Et je dois l’avouer, j’ai triché en retournant voir la vidéo sur YouTube pour reconnaître les rues où j’avais marché. 

Les maisons colorées sont bien là. La promenade de bord de mer aussi, avec deux ou trois enfants qui font la course et qui se laisseraient convaincre facilement, je pense, de nous défier sur 100 ou 200 mètres. Et avant de sortir du quartier, il ne faut pas manquer les jolies mosaïques d’une petite place publique, où les carreaux de céramique sont assemblés pour représenter les petits bâtiments entassés les uns sur les autres.

En regrimpant vers le centre de la vieille ville, la rue San Sebastian, à laquelle on consacre tout un festival, attire l’œil pour ses façades colorées. C’est là qu’on trouve, d’ailleurs, l’école des beaux-arts… et plusieurs boîtes de nuit. Et quand on poursuit vers le sud, la rue Fortaleza devient l’objet des plus belles photos de la ville. Autrefois recouverte de parapluies, en direction de la maison du gouverneur, elle était, le temps de mon passage, surmontée d’un énorme drapeau aux couleurs de Porto Rico. 

Enfin, les flâneries au hasard permettront d’admirer des façades défraîchies couvertes de personnages peints en deux dimensions ou des sculptures aux couleurs de l’arc-en-ciel près des quais et du terminal pour le traversier menant à Cataño.