Chronique|

Christophe Colomb et la forêt

La forêt d’El Yunque est sans doute l’un des sites les plus visités à l’extérieur de San Juan, sur l’île de Porto Rico. Il s’agit de la seule forêt tropicale aux États-Unis.

CHRONIQUE / Leçon de voyageur : ne pas trop se documenter avant un voyage peut être une arme à double tranchant. D’un côté de la lame, la liberté, la flexibilité, le sentiment de tout découvrir au fur et à mesure. De l’autre, du côté coupant, la possibilité de s’égarer, de perdre du temps, de suivre une fausse piste.


À Porto Rico, quand on se fie à des documents vieux d’à peine trois ans pour fabriquer un itinéraire approximatif, c’est du côté affilé qu’on tombe. C’est un peu comme réserver une chambre d’hôtel et constater en arrivant que la photo date de la décennie précédente. Sur l’île américaine, l’élément perturbateur s’appelle Maria.

Maria, c’est l’ouragan qui a balayé l’île en 2017 et qui a vraisemblablement bousculé bien des plans de développement. Comme celui de construire un parc d’aventure aux environs d’Arecibo, au nord-ouest de l’île, avec comme pièce maîtresse une immense statue de Christophe Colomb.

Comment attraper un bourlingueur naïf? Lui faire miroiter la possibilité de voir quelque chose d’unique, de grandiose. Par exemple, lui dire que la plus haute sculpture d’Amérique du Nord (!) et par conséquent la plus haute structure de Porto Rico se trouve à quelques kilomètres seulement d’une autoroute bien passante. Il n’en fallait pas plus pour que j’en fasse le phare de mon exploration portoricaine.

Au volant de ma bagnole louée, j’ai eu beau me perdre, je n’allais pas abandonner mon plan d’admirer la fameuse statue appelée Birth of the New World, statue qui commémore les 500 ans du voyage de Christophe Colomb.

À travers les routes sinueuses longeant la côte, des champs, une campagne dont le silence n’est troublé que par le vent, les vagues, et le moteur d’une voiture de temps en temps. Pas d’hôtels, pas de restaurants. Pas de tours en hélicoptères comme le prévoyait le plan initial. Pas l’ombre d’une tournée en kayak ou d’une tyrolienne qui permettrait d’avaler une petite dose d’adrénaline. Niet!

Et je l’ai vu, Christophe, avec les drapeaux de ses trois caravelles, perché à 110 mètres de hauteur, au milieu de nulle part. Sur le rivage, quelques petits bâtiments qui paraissent désaffectés. Puis la route et des cordons qui bloquent le passage vers ladite statue. Rien. Personne. Pas de véritable stationnement. Pas vraiment de pavage. Et de l’herbe haute au moins jusqu’aux genoux. Au moins.

Je n’avais pas fait tout ce chemin pour en rester là. J’ai plongé dans l’herbe longue, ai croisé quelques gros lézards près du socle de la statue avant de constater, sans grandes surprises, que les accès vers l’observatoire, plus près du sommet, semblaient partiellement condamnés.

C’est le cas de le dire, la statue de Christophe Colomb a des allures de bout du monde, un peu anachronique, abandonnée près des plages et des mangroves qu’aucun touriste ne visite. Étrangement, c’est rafraîchissant et plutôt relaxant. Mais tout indique que ça n’en restera pas là.

La statue, l’œuvre du sculpteur Zurab Tsereteli, avait été offerte à plusieurs villes américaines avant d’aboutir à Porto Rico près d’un ancien site cérémoniel taïno, un peuple en partie décimé à la suite de l’arrivée des explorateurs. Elle a survécu à l’ouragan Maria, mais tout son environnement a subi des dégâts majeurs, si bien que le bâtiment qui devait accueillir les touristes a été détruit. L’idée de construire un parc d’attractions a été repoussée le temps de réparer les dommages causés par les vents violents.

La statue Birth of the New World, située à Arecibo, se dresse pour le moment au cœur d’une nature qui n’a pas encore été transformée.

Un débat juridique survenu l’an dernier impliquant l’artiste fait également halte aux plans de relance du parc d’attractions, qui pourrait prendre cinq autres années avant de voir le jour.

En même temps, la statue désaffectée devient quand même une attraction dans les circonstances.

Dans l’autre direction, vers l’est de l’île, le site touristique le plus populaire est sans doute la forêt d’El Yunque, la seule forêt tropicale aux États-Unis. Pour une randonnée, c’est LE terrain de jeu le plus approprié, avec des cascades pour se baigner, quelques belvédères d’observation en bordure de route et des sentiers un tantinet plus difficiles pour les marcheurs plus expérimentés.

Là encore, sur le plan le long de la route, à l’entrée du parc, on mettra en garde contre des sentiers encore fermés en raison des colères de Maria. Et pour avoir accès au parc, où le nombre de voitures est limité, il est préférable d’arriver avant 11 h.

Là, la pièce de résistance, c’est la piste El Toro, dont l’aller-retour fait 12,6 km. C’est le sentier le plus difficile, celui qu’on met facilement une journée à parcourir. Déjà, avant Maria, on qualifiait le sentier de mal entretenu. Le temps, je le jure, n’a pas arrangé les choses.

Pour s’attaquer à El Toro, il faut se lever tôt, porter des pantalons et des manches longues et s’armer de patience. Après une heure et demie à me battre contre les épines qui me lacéraient de haut en bas, j’ai renoncé. Et malgré quelques points de vue vraiment magnifiques, les 90 minutes du retour en affrontant les mêmes épines ne m’attiraient pas particulièrement.

J’ai compris pourquoi, même tôt dans la journée, je croisais des randonneurs qui semblaient avoir renoncé.

La solution, pour les orgueilleux qui comprennent trop tard qu’ils devront se lancer dans une randonnée de courte haleine, c’est le sommet du mont Britton, nommé en l’honneur d’un botaniste ayant œuvré dans la région. Un sentier de pierre et de bitume, facile, long de 45 minutes, mène tout en haut.

De là, au cœur des montagnes, on aperçoit la côte et la ville de Luquillo au loin. Luquillo, c’est petit et joli. Et c’est parfait, sur le chemin du retour, pour casser la croûte aux Luquillo Beach Kiosks, une douzaine de petits restaurants et magasins entassés côte à côte, entre l’autoroute et la plage. On y goûte facilement des spécialités locales et le truc, dit-on, demeure de commander de petites portions à chacun des restaurants.

Qu’on choisisse la forêt ou Christophe Colomb, on ne mettra pas plus de 45 minutes pour atteindre l’une ou l’autre des attractions à partir de San Juan.