Instinct de survie, vraisemblablement, c’est par le ventre que j’apprends une nouvelle langue. D’abord bonjour et merci, et ensuite poulet, patate et fruit de la passion. Dans l’ordre, bien sûr.
À San Juan, à Porto Rico, ma panse affamée et ma bonne volonté n’ont pas suffi à tout déchiffrer, si bien que je me suis réfugié dans l’anglais avec mon air le plus repentant. On m’apprendrait toutefois quelques jours plus tard que les Portoricains ont leur façon bien à eux de raccourcir les mots, de les transformer aussi, au point où il est bien inutile, paraît-il, de se sentir idiot de ne pas comprendre.
Espagnol ou pas, Porto Rico, c’est le paradis des gourmands. Le paradis de la friture, aussi, pour ceux qui voudraient se déculpabiliser de tremper leurs repas dans l’huile. Mais il y a plus. Bien plus.
Dans le quartier branché de Santurce, pour l’ambiance, on se rend à la Placita. En soirée, en marchant sur l’avenue Ponce de Leon, qui mène directement à la vieille ville, j’avais peine à croire qu’il se trouvait un recoin animé dans le quartier. La pénombre écrasait la toute petite lumière des lampadaires. Les passants se comptaient sur deux doigts d’une seule main.
Mais en bifurquant vers la placette, où des guirlandes d’ampoules font écarquiller les yeux en même temps qu’ils font tomber la mâchoire, on découvre la cachette de tous les fêtards du quartier. Là, on s’amuse en terrasse, dans la rue aussi, où on danse en consommant une bière ou un pina colada. Au centre, le marché de légumes, fermé en soirée, circonscrit l’essentiel du périmètre festif. Et tout autour, quelques restaurants aux prix gonflés de trop de friture servent des plats typiques.
C’était le premier soir à Porto Rico. Déjà, je plongeais la fourchette dans le mofongo, un plat de bananes plantains pilées, d’ail, d’épices, de bouillon et, pour enrichir tout ça, d’une protéine au choix. On dit que le mofongo traditionnel est servi avec du porc, mais on le trouvera aussi au poisson, au poulet ou aux crevettes. On nous propose même de couvrir la mixture de beurre à l’ail, ou devrais-je dire, de beaucoup de beurre à l’ail, d’un océan de beurre à l’ail, ou encore d’une savoureuse sauce créole.
La brique que ça vous fait dans l’estomac!
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Bang!
J’ai pris la route la plus longue, à pied, pour rentrer à l’hôtel. Il faudrait bien des semaines pour dépenser toutes ces calories. Mais la vérité, c’est qu’en dépit de sa lourdeur consacrée, le mofongo demeure un plat extrêmement savoureux. Et pour nous torturer davantage, on nous dira qu’il n’y a pas deux restaurants qui en servent la même version. Il faut donc le goûter, encore et encore, dans plusieurs établissements, pour choisir la recette qu’on préfère.
Dans le même état d’esprit, moins cher, moins festif, mais tout aussi atmosphérique, Lote 23 revêt ses habits hipsters modérés et propose une variété de plats qui feront chanceler les indécis comme moi.
Le parc de camions de cuisine de rue (foodtrucks), en plein air, fait lui aussi usage de la magie créée par quelques ampoules judicieusement suspendues. Des doigts de poulet frits aux mets chinois, en passant par les populaires pokés, les tacos et les grillades, on y trouve de tout. Même plusieurs boissons alcoolisées et des sucettes glacées. Pour l’ambiance et pour la dent curieuse, difficile de passer à côté.
Mon autre coup de cœur, à quelques centaines de mètres de là, le Bebos Café accueille en grande partie la population locale dans une grande salle sans extravagance. Les tables sont entassées les unes sur les autres, les serveurs n’ont pas appris à sourire ni à se rendre utiles quand on renverse maladroitement, et un peu par leur faute, le verre d’eau qu’ils viennent d’apporter, mais on y mange bien et à petit prix. À preuve, cet avocat farci au crabe, original et moins lourd que le mofongo, qui a fait rougir de jalousie mes voisins de table.
Et enfin, pour l’aventure, quelque part au centre de l’île, à moins d’une heure de la capitale, le village de Guavate est semble-t-il reconnu pour son porc rôti, le lechon asado. Les employés de mon hôtel ne connaissaient pas, malgré les références des guides que j’avais consultés.
En sortant de l’autoroute, le chemin qui serpente jusqu’au cœur de Guavate offre quelques points de vue sur les montagnes du centre de l’île. Puis, les restaurants de porc rôti s’enchaînent, les uns après les autres, tous aussi vides les uns que les autres. Les foules y affluent apparemment les week-ends. Particulièrement entre 14 h et 21 h.
C’était mardi. Treize heures avaient à peine sonné.
Comme le veut la tradition, la viande m’a été servie avec du riz et des morceaux de banane plantain. Et oui, le porc d’El Rancho Original était aussi savoureux que ce qu’on racontait. Même s’il paraissait bien simple dans sa barquette de styromousse.
Peut-être n’est-il pas nécessaire de partir de San Juan pour y casser la croûte, mais un arrêt au passage sur la route 52, serait, lui, justifié.