Infirmier suspendu en psychiatrie : une sanction en guise d'exemple?

L’infirmier Jean-Sébastien Blais a terminé de purger ses trois semaines de suspension sans solde après avoir dénoncé ouvertement, dans un long cri du cœur sur Facebook, les conditions de travail qui prévalent dans le département de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu où il travaille depuis 15 ans.


Il est revenu au travail mercredi et a été accueilli chaleureusement par ses collègues et ses patients. 

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Rappelons qu’à deux jours de Noël, Jean-Sébastien Blais s’est vu privé de trois semaines de salaire alors que lui et sa conjointe ont cinq enfants à eux deux et que sa conjointe combat actuellement un cancer. Pour le soutenir face à cette sanction que ses collègues considèrent comme injuste, une collecte de fonds avait été lancée et l’objectif d’amasser 3500 $ a été atteint. Du personnel l’hôpital, y compris des médecins et même des patients ont contribué pour le soutenir.

« Je ne m’attendais tellement pas à toute cette vague de sympathie et de générosité. Je pense que beaucoup de gens se sont sentis interpellés par mon message. Mon retour au travail s’est très bien déroulé... C’est spécial de se faire arrêter dans les corridors par des gens de tous les corps de métier qui prennent le temps de me saluer et me dire « merci beaucoup pour ce que tu as fait ». J’aimerais aussi remercier la clientèle pour le superbe accueil mercredi matin. Je ne peux pas les nommer, mais ils se reconnaîtront. Ça m’a beaucoup touché », soutient l’infirmier Jean-Sébastien Blais.

Grief déposé

Cette histoire n’est pas terminée étant donné que la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec — Syndicat des professionnels en soins des Cantons-de-l’Est (FIQ-SPSCE) a déposé un grief au nom de M. Blais pour contester sa suspension sans solde.

Car la sentence est très lourde, estime-t-on du côté syndical. « L’évaluation qu’on en fait, c’est que la direction a voulu faire un exemple pour les autres employés. Venir toucher directement au salaire des employés a de quoi faire très peur aux autres employés qui aimeraient s’exprimer publiquement », indique la présidente de la FIQ-SPSCE Sophie Séguin.

« Nous à la FIQ-SPSCE, nous représentons 92 % de femmes, dont plusieurs sont des mères monoparentales qui ne peuvent en aucun cas se voir privées de salaire. C’est une sanction qui fait peur, très peur », ajoute Mme Séguin.

Un avis partagé d’ailleurs par Pierre Trudel, professeur de droit de l’information à l’Université de Montréal. Il travaille notamment à des projets de recherche sur les droits fondamentaux de l’information et sur la protection de la vie privée dans les réseaux.

« Dans les relations de travail, il y a un principe de gradation des sanctions : un avertissement, une note au dossier, ensuite ça peut aller à une suspension. On peut se questionner sur la question de proportionnalité dans le cas de cet employé », estime le professeur Pierre Trudel après avoir lu l’ensemble des articles et des communiqués de presse publiés dans ce dossier.

« Ça peut être une manière d’avertir les autres qu’ils risquent d’en payer le prix s’ils parlent publiquement. Faire un exemple de temps en temps, ça aide les organisations à garder le contrôle », estime le professeur.

Automne difficile

Rappelons que les employés de la psychiatrie ont connu un automne particulièrement difficile. En effet, le Service de police de Sherbrooke (SPS) a dû mener une perquisition dans le but de trouver de la drogue sur trois étages du département de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu le 11 décembre dernier. Aucune drogue n’a été saisie sur place.

Cette opération policière avait été rendue nécessaire après que plusieurs événements inquiétants se soient déroulés dans le département au cours des semaines précédentes.

Entre autres, des employés de la psychiatrie se sont fait crever leurs pneus dans le stationnement de l’hôpital et plusieurs d’entre eux ont reçu des menaces de mort. Il y avait aussi des soupçons de consommation et de revente de drogue au sein du département. De mémoire, tant au CIUSSS de l’Estrie-CHUS qu’au SPS, c’était la première fois qu’une perquisition d’une telle ampleur était organisée en milieu hospitalier à Sherbrooke en plus de 30 ans.


+ Qui surveille sur Facebook ? 

Selon une rumeur persistante chez les employés du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, jusqu’à trois employés de la direction des services informationnels seraient chargés de surveiller ce que les employés écrivent sur les réseaux sociaux. C’est complètement faux, indique-t-on du côté de la direction du CIUSSS.

« Au service des communications, nous avons des édimestres qui sont chargés, entre autres, de répondre aux multiples commentaires et messages que nous recevons sur nos propres comptes. Ils ne font pas de veille sur ce que les employés écrivent sur leurs comptes », indique la porte-parole de l’établissement Geneviève Lemay.

Selon une source fiable contactée par La Tribune et qui a longtemps œuvré dans le domaine de l’information dans le réseau de la santé, des vérifications sont faites après une dénonciation. Toutefois, l’ensemble des 18 000 employés ne seraient pas surveillés de façon systématique.

De son côté, le syndicat des infirmières assure une certaine surveillance des réseaux sociaux. Ses objectifs? Éviter que leurs membres se mettent les pieds dans les plats et qu’ils ne franchissent la ligne mince qui les sépare leur liberté d’expression de leur bris de leur engagement à « ne pas divulguer tout renseignement qui va à l’encontre des intérêts de l’établissement » ou à « ne pas diffuser auprès de médias et dans les réseaux sociaux des renseignements concernant les usagers ou les employés du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, ou des informations permettant de les identifier directement ou indirectement par quelque moyen que ce soit ».

« Nous surveillons notamment les principales pages Facebook d’employés du CIUSSS ou des anciennes RLS. Nous intervenons régulièrement et nous en profitons pour faire de la sensibilisation, de l’enseignement », indique Sophie Séguin, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec — Syndicat des professionnels en soins des Cantons-de-l’Est (FIQ-SPSCE).

Les informations touchant la confidentialité des patients sont notamment très sensibles, ce qui est de toute façon prévu par deux lois. « Un exemple d’un commentaire qui ne pourrait pas passer? « Grosse soirée à l’urgence, on a eu quatre blessés d’un accident ». C’est une information qui peut porter préjudice à la clientèle », illustre Mme Séguin.

Il reste encore beaucoup de sensibilisation à faire, ajoute-t-elle.

« Les réseaux sociaux, c’est tellement complexe. On oublie parfois même avec qui on est amis. Et on a des amis qui sont amis avec d’autres personnes et qui peuvent voir nos publications. Tout est copiable, tout est public, tout peut se sauvegarder ailleurs. Quand on publie quelque chose sur un réseau social, on en perd le contrôle », indique-t-elle.

Pour les quatre responsables de la FIQ-SPSCE, cette veille représente un énorme travail. « On connait les heures de pointe, le soir, les fins de semaine. C’est un gros travail qu’on n’avait pas à faire il y a 20 ans c’est certain », mentionne-t-elle.