Quand la pluie arrache le chapelet de la corde à linge, on va au musée. Parce que c’est en dedans, et surtout, plus sec. Vive le Musée d’art moderne.
Sauf quand on nous en chasse, parce que l’heure de la fermeture est arrivée. Du coup, les refuges ne sont pas légion dans les environs. Et on se retrouve dans une microbrasserie à siroter je ne sais quoi, pour peu qu’on ne soit pas coincé dans le portique avec la vingtaine d’autres touristes ayant eu la même idée géniale que nous.
Et quand la buée des fenêtres se dissipe, que l’eau ne tombe plus d’en haut mais qu’elle continue de nous éclabousser les mollets pour chaque enjambée, parce qu’on ne sait plus comment marcher sur une telle chaussée, on se donne la peine d’errer pour étudier les fameuses maisons à colombages.
Mine de rien, parce qu’après avoir siroté, on veut boucher un petit coin, on se torture à choisir entre les winstubs alors qu’on peut difficilement se tromper. Et on se dit que finalement, comme journée, ç’aura été sans grandes découvertes.
Parce qu’on a joué les gourmands à l’heure des Français, dans la noirceur d’une nuit déjà installée, on se traîne les galoches, alourdies par une panse bien remplie, sans se mouiller les mollets cette fois-là. Et on soupire en pensant, le bruit d’un couple qui s’engueule en sourdine, qu’on sera bientôt avachi dans le tram qui nous mènera à l’hôtel.
Y’a eu les heurts de la querelle. Puis le silence d’une rue presque déserte. Et le bourdonnement soudain d’une foule. Et un son de cornemuses. Un genre de fanfare. Et des tambours. Beaucoup de tambours.
Le regroupement de fêtards est apparu sur la gauche, dans une rue transversale. Pour atteindre la foule, il fallait s’engouffrer dans un tout petit goulot, entre deux barrières métalliques, là où des gendarmes fouillaient le sac des visiteurs.
Finis les soupirs. La fatigue s’est envolée. Moi vouloir joindre la fête. Moi curieux! J’ai fendu la foule, je ne sais comment, pour me retrouver aux premières loges d’un défilé qui, s’il avait été annoncé, m’avait complètement échappé. Des troubadours à la joie débordante, le visage peint en blanc, sautillaient, généraient les boom boom en agitant des flammes qui perçaient la nuit.
Mon lit ne m’appelait plus. Je sautillais comme un troubadour en essayant de croquer au moins une bonne image de cette manifestation joyeuse. Des oiseaux de fer, des phénix en fait, comme d’énormes pantins, battaient des ailes au bout d’une longue tige que transportaient les artistes. D’autres tiraient d’énormes éléphants sur lesquels étaient grimpés certains de leurs collègues.
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Et paf! La musique s’arrête. Dans toute sa royauté, l’homme trônant sur un des éléphants ouvre un parapluie rouge.
Les gendarmes dispersent la foule à leur tour pour que la procession reprenne jusqu’à une grande scène, place Kleber.
Magie!
J’ai déjà de la matière à rêves pour toute une semaine.
Mais voilà, la troupe s’amène sur la scène. C’est l’événement de clôture du Festival des arts de la rue de Strasbourg. Décidément, hasard, quand tu nous tiens. C’est le Bagad Plougastell, un ensemble traditionnel breton, qui mélange ses couleurs, mais surtout son son, au théâtre de la rue de la compagnie Oposito. Et la pièce interprétée? « Trois éléphants passent »!
Magie, j’ai dit.
Dire que la musique des cornemuses et les dizaines de tambours, entassés sur une scène qui paraissait trop petite, auraient pu tourner à la cacophonie. Sauf que j’avais rarement entendu quelque chose d’aussi puissant. La cornemuse envoûtante, hypnotisante, et les percussions qui prennent au fond de la poitrine m’ont cloué les deux pieds bien en place. Chaque coup sur la peau tendue des tambours résonnait. Boom. Boom! Unisson. Synchronie.
La symphonie aura duré une dizaine de minutes, tout au plus. Et ils sont remontés sur leurs grands éléphants, les amuseurs de rue, pour repartir dans les rues de la ville.
Quand le dernier éléphant a disparu entre deux bâtiments, une chute de feux d’artifice, comme un rideau d’étincelles, est tombée pour clore l’événement.
La foule se dispersait déjà. J’essayais encore d’avaler ma surprise. De contrôler les tambours qui me secouaient encore la cage thoracique.
Je suis reparti avec la marée vers la station de tram, sans traîner mes godasses. La magie du hasard, avec un brin de curiosité et de bonne volonté, avait encore frappé. Vive l’inattendu. Un souvenir auditif, sensoriel, s’ajoutait à l’improviste. Des lumières dans les yeux, j’avais soudainement des envies de fanfare et de théâtre de rue.