Le 31 octobre en soirée, en pleines célébrations du jour des Morts, la procession anime toute la ville. Au cimetière, à la lueur des chandelles, la fébrile magie s’empare d’un cortège qui entraînera à sa suite des centaines de touristes ou citoyens rassemblés à la mémoire de disparus. Déjà, quantité d’entre eux arborent un maquillage squelettique, le visage blanchâtre, les yeux et le nez nimbés de noir.
Sur une scène au milieu des mausolées, un rituel en langue maya est prononcé. S’avancent ensuite les enfants, chandelle à la main. Ils ont revêtu les habits traditionnels. Les fillettes portent une robe blanche, ont la tête couverte d’une longue écharpe. Des fleurs sont piquées dans leur chevelure.
Les garçons, chemisiers et pantalons blancs, sont coiffés d’un chapeau. Un mouchoir rouge est noué à leur cou.
Les petits avancent doucement, entraînant dans leur sillage des dizaines d’adultes personnifiant eux aussi l’âme de personnes décédées.
À l’entrée du cimetière, tout juste avant de leur ouvrir les barrières, un homme s’étant glissé sous les plumes d’un aigle déploie ses ailes symboliques dans un nouveau rituel en tête du cortège.
Les portes du cimetière laissent couler le flot de la procession, qui s’amorce enfin de façon solennelle. L’atmosphère est chargée d’excitation, d’une joie tranquille de participer à quelque chose de plus grand que soi dans l’aura de mystère qu’abat traditionnellement la noirceur du soir.
La route sera longue jusqu’au parc de San Juan, où la foule convergera après avoir essuyé les exclamations et admiré les maisons colorées de la ville. Le respect des anciens peut presque être palpé du doigt.
Le long des rues, des familles ont érigé des autels à la mémoire de leurs prédécesseurs. Des photos généralement en noir et blanc, dans un joli cadre, trônent au centre de l’installation, entourées de chandelles et parfois baignées de volutes d’encens. Des fleurs et des objets qu’affectionnait le défunt sont disposés tout autour. On n’oublie pas, surtout pas, ceux qu’on ne voit plus mais qui vivent toujours un peu en soi.
Débordant de la procession, dans les rues secondaires, des spectacles à échelle locale sont présentés. Un groupe de musiciens amateurs, eux aussi déguisés, accompagnent de leur musique une pièce de théâtre où on « lypsinc » même les dialogues. Le maigre décor pourrait s’affaisser à tout moment sans les trois bénévoles qui le tiennent à bout de bras. L’initiative transpire d’amour et de fierté à vous faire déborder le cœur.
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Dans un autre parc, la danse est à l’honneur pendant que des artistes du maquillage transforment le visage de badauds d’adroits coups de pinceau.
Et tout au long de la marche, les marchands de fleurs font de bonnes affaires. Des friandises et des grignotines sont offertes à tous les coins de rue.
Le jour des Morts a semble-t-il pris des proportions touristiques au cours des deux dernières années à Mérida, qui a mis sur pied le Festival de las Animas. À partir du 25 octobre, et jusqu’au 2 novembre, les traditions mayas étaient fièrement placées en vitrine. Cette idée de s’arrêter, de se remémorer, d’honorer ceux qui sont partis m’émeut. Quel privilège de se trouver là, d’avoir une pensée tout à coup pour nos propres disparus!
Même si les Mexicains ne souhaitent pas tous réellement célébrer directement au cimetière, qu’ils préfèrent pour plusieurs la discrétion, le Festival de las Animas évite de donner dans le clinquant, dans le spectacle pur et simple. Il reste que les autorités, qui dirigeaient tant bien que mal la circulation à travers la flopée de rues bloquées pour l’événement, semblaient dépassées par l’achalandage monstre.
Déjà, la veille, au même Cementerio General, des centaines de personnes s’étaient pointées pour une pièce de théâtre en langue maya et en espagnol. On semblait y démontrer que les morts reviennent nous visiter quand on se donne la peine de les honorer. Il faut l’avouer, l’entreprise ne charmait pas autant que le joli film Coco, de Disney. Elle permettait néanmoins d’observer de réelles familles venues, en arrière-plan, prendre le repas avec un défunt.
Pour ceux que l’espagnol et les foules n’effraient pas, une tournée du cimetière, histoire des mausolées les plus étranges en prime, terminait la veillée.
Même dans les restaurants et les hôtels, le jour des Morts est souligné de façon personnelle. Au Wyndham Hotel, où je logeais, la photo du chanteur José José, décédé en septembre, trônait sur un autel coloré de pétales de fleurs.
Près de la réception, on n’avait pas oublié le pan de muerto, un pain couvert de sucre avec un léger goût d’orange. Cette gâterie n’est consommée qu’à cette période de l’année, comme l’excellent mucbipollo, plat traditionnel du Yucatan constitué de poulet cuit pendant deux ou trois heures, sous terre, dans une croûte de maïs et une sauce tomatée. Holà calories.
En plus d’être photogénique, magique et mystérieux à la fois, le jour des Morts, il a bon goût.
Le journaliste était l’invité de l’Office du tourisme du Yucatan et d’ENroute Communications.