10 décennies, 10 batailles

Tout Windsor est en alerte en 1985 : Domtar pourrait quitter la ville. La compagnie papetière caresse le projet de construire un complexe ultramoderne de 1,2 milliard $ mais réclame de l’aide financière.

En bientôt 110 ans d’histoire, La Tribune a toujours été témoin et reflet de sa communauté, partie prenante aux petits débats comme aux grandes batailles. Coup d’œil sur 10 enjeux qui ont fait couler de l’encre durant le dernier siècle.


Après la municipalisation de l’électricité en 1908, les années 1910 voient le réseau croître de façon importante pour soutenir le développement industriel. En 1911 et en 1917, la Ville de Sherbrooke doit emprunter pour construire la centrale Rock Forest sur la rivière Magog, puis acquérir le barrage Weedon sur la rivière Saint-François. À ces deux occasions, au nom du progrès, La Tribune se prononce favorablement. Hydro-Sherbrooke est aujourd’hui le plus important réseau municipal d’électricité au Québec.

1920-1929

Devant le nombre grandissant d’accidents de la route, La Tribune monte au créneau en 1924 pour exiger des agents de circulation aux carrefours jugés dangereux de la ville, notamment à côté de l’édifice qu’elle occupe sur la rue Dufferin. Il faut dire qu’il est difficile de voir arriver les voitures, à moteur ou à cheval, ainsi que les piétons au coin des rues Frontenac et Marquette. L’indiscipline des conducteurs est aussi montrée du doigt. Sept poteaux de signalisation feront leur apparition cette année-là. Présentés comme une innovation, ils seront financés par le fabricant de cigarettes Rex.

1930-1939

Après le krach de 1929, les Cantons-de-l’Est sont aux prises avec un grave problème de chômage qui laisse des familles complètement démunies. Des soupes populaires, appelées « cuisines municipales », sont mises en place dans plusieurs localités. Les coûts de cette mesure soulèvent toutefois de chauds débats dans les hôtels de ville. La Tribune prendra part à la réflexion en ouvrant ses pages au tribun ecclésiastique Ira Bourassa, un grand pourfendeur de la bourgeoisie sherbrookoise, puis en proposant en éditorial une véritable politique de colonisation.

1940-1949

En pleine guerre, en 1942, le premier ministre Mackenzie King organise en référendum pancanadien pour se désengager de sa promesse de ne pas rendre la conscription obligatoire. Durant tout le mois d’avril les camps du oui et du non publient des pages de publicité dans La Tribune. Même si le journal ne prend pas position de manière officielle, il est facile de percevoir l’allégeance libérale de son propriétaire, Me Jacob Nicol. Le jour du plébiscite, La Tribune se permet d’insister sur les rumeurs d’invasion européenne. Le 27 avril, Mackenzie King obtient carte blanche malgré l’opposition de sept Québécois sur dix.

1950-1959

Trente ans après la traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh et les premières pressions de la Chambre de commerce de Sherbrooke pour que la région se dote d’une piste d’atterrissage, la Ville achète les terrains nécessaires pour se doter d’un aéroport. « Il est certain qu’un centre urbain comme Sherbrooke ne peut que voir s’accélérer son développement par suite de l’installation d’un aéroport à proximité de ses limites », écrit La Tribune en éditorial le 12 septembre 1957, alors que plusieurs citoyens jugent salée la facture de 135 000 $. Il faudra attendre 1964 avant que la piste soit inaugurée.

1960-1969

Menée par le président-éditeur de La Tribune Me Paul Desruisseaux, une délégation d’une quarantaine de politiciens municipaux et de manufacturiers se déplace à Québec, en 1960, pour convaincre le gouvernement de Jean Lesage d’aller de l’avant avec la construction de l’autoroute 10. Cela fait plus de trois ans que la région se tiraille sur le tracé à retenir, au risque de torpiller ses chances d’obtenir le projet. Cette pression politique menée par La Tribune a un effet immédiat. L’autoroute des Cantons-de-l’Est sera achevée en décembre 1964.

1970-1979

Dans la foulée de l’entrée en vigueur de la Loi sur les parcs, le gouvernement québécois tient des audiences publiques à Sherbrooke, en 1979, sur l’avenir du parc du Mont-Orford. Le Ministère veut exclure le centre de ski alpin, le terrain de golf et le Centre d’arts Orford des limites de l’aire protégée pour leur accorder un statut de centre touristique, tandis que les exploitants touristiques estiment que cette proposition manque d’envergure. Un éditorial de La Tribune invite le ministre Yves Duhaime à se rendre à la volonté régionale. À la fin de l’été, il annoncera un plan d’investissement de 4,7 M$ destiné à agrandir et à aménager le parc du Mont-Orford et confirme la vocation récréative du massif.

1980-1989

Tout Windsor est en alerte en 1985 : Domtar pourrait quitter la ville. La compagnie papetière caresse le projet de construire un complexe ultramoderne de 1,2 milliard $ mais réclame de l’aide financière. Un front commun des politiciens locaux, syndiqués, producteurs de bois et de la direction de l’usine mène une cabale à Québec et à Ottawa et La Tribune suit quotidiennement les tractations pendant plusieurs semaines, en plus de condamner, dans un éditorial, la lenteur et les tergiversations du gouvernement Mulroney dans ce dossier. Quand le dossier a débloqué en avril, le ministre québécois du Travail Raynald Fréchette a souligné la force du consensus régional. La nouvelle usine commencera à produire deux ans plus tard.

1990-1999

L’Estrie a longtemps rêvé d’une école universitaire de musique pour compléter son parcours musical coordonné qui allait du primaire au collégial. L’Université de Sherbrooke s’est lancée, mais son école de musique s’est heurtée à des mesures d’austérité et a dû fermer ses portes en 1985, après avoir accueilli à peine une dizaine d’élèves. La même année, l’UdeS profite du sommet socioéconomique de l’Estrie pour relancer son projet, mais même si les décideurs se rangent derrière cette proposition, elle tarde à se concrétiser. Il faudra attendre le début des années 1990 pour que les tractations politiques du rectorat et du député libéral André J. Hamel aient gain de cause. L’inauguration de l’école de musique a lieu le 6 février 1993, après 15 ans d’attente.

2000-2009

À l’automne 2000, le projet de rénovation de Saint-Vincent-de-Paul piétine. Depuis trois ans, les autorités régionales de la santé cherchent à convertir l’ancien hôpital en résidence pour personnes âgées, mais n’arrivent pas à obtenir l’argent nécessaire de Québec. En attendant, plus de 150 pensionnaires de la Résidence de l’Estrie vivent dans des installations désuètes. Le chroniqueur de La Tribune Mario Goupil sonne la charge le 12 décembre. Une série d’articles et d’éditoriaux suivent et donnent des munitions au chef de l’opposition et député de Sherbrooke Jean Charest pour attaquer le gouvernement péquiste. Le 21 décembre, l’annonce tant attendue arrive enfin. Près de 200 personnes déménageront dans l’hôpital reconverti à l’été 2002.

Extraits d’une rubrique intitulée « La bataille de l’époque », publiée dans l’édition de collection des 100 ans de La Tribune, le 17 février 2010.