Les yeux du personnage, justement, s’ouvrent et bougent, comme sa bouche, d’où les chanteurs d’opéra interpréteront quelques chansons. De chaque côté du visage géant se trouvent deux énormes mains, capables de mouvements également, dont une tenant en sa paume une montgolfière qui cherche à s’envoler.
Le plateau est gigantesque : la plus grande scène flottante au monde, dit-on. Pour les touristes comme moi, qui n’avaient jamais vu les prouesses techniques et de mise en scène du Festival de Brégence, il y a de quoi ne pas porter attention au spectacle lui-même pendant plusieurs minutes. À huit millions d’euros pour la conception, le montage et le démontage, on ne peut s’attendre qu’à de la pure magie. Du coup, ne serait-ce que pour admirer les décors, tout passage à Brégence sans s’arrêter dans son festival serait incomplet.
Le montage de la scène aura commencé à l’automne 2018 de manière à être complété à temps pour la première, à la mi-juillet 2019. Pour un total de 27 représentations, 192 000 billets avaient été mis en vente. Foi d’Autrichien, m’avait-on dit, il fallait faire vite pour ne pas être obligé de patienter toute une année avant de pouvoir assister à l’opéra, qui sera de retour l’été prochain. En lui-même, le théâtre peut accueillir quelque 7000 spectateurs à la fois.
Ce ne sont évidemment pas les citoyens de Brégence à eux seuls qui remplissent la salle. Avec ses quelque 30 000 habitants, répartis dans un territoire de 30 km2, la ville n’arriverait certainement pas à vendre tous ces billets, qui se détaillent à environ 60 euros l’unité.
J’ai eu une pensée pour l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières. En Autriche, on vit une expérience différente. Pas de toit pour protéger les spectateurs de la pluie. Et Dieu sait que les prévisions météorologiques étaient alarmantes lors de mon passage. En cas d’intempérie, la portion théâtrale du spectacle est offerte sur une scène intérieure avec un déploiement plus retenu.
Même si on se trouve en Europe, dans la province du Vorarlberg, à quelques kilomètres de Lindau en Allemagne, de Saint-Gall en Suisse ou même du Liechtenstein, on n’a pas bétonné de grands espaces pour accueillir les bagnoles de tous ces spectateurs. Le transport en commun est partout. Le train s’arrête pratiquement derrière le théâtre. La navette traversant le lac jusqu’en Allemagne accoste aussi à un jet de pierre de la scène flottante.
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Sinon, on arrive à pied, en longeant le lac, dans un parc où on propose de la saucisse et des bretzels, de la bière, du vin et des jus. Plusieurs spectateurs enfilent leur habit du dimanche pour l’opéra, même si la prestation est offerte en extérieur. Ils n’oublieront pas leur manteau non plus, prévenus qu’ils sont que le mercure, aidé par le vent du rivage, chute un tantinet une fois le soleil couché.
Et non, Brégence n’a pas obtenu sa réputation internationale pour l’opéra du jour au lendemain. L’édition du festival qui vient de se terminer était la 74e. On n’investissait certainement pas huit millions d’euros, en 1946, quand Bastien et Bastienne, de Mozart, a été présenté. À travers les années, Strauss, Puccini, Bizet, Mozart, Beethoven, Gershwin et autres ont été repris. Dans les deux dernières décennies, les décors sont devenus particulièrement grandioses. La scène de Brégence a même servi au tournage d’un film de James Bond, Quantum of Solace, en 2008.
Le spectacle lui-même, parce qu’il faut bien en parler, mélange le théâtre, le cirque et l’opéra. Un orchestre interprète toutes les pièces de l’intérieur du Palais du festival. Sur des écrans situés de chaque côté de la scène, il est possible d’observer les musiciens tout au long de la prestation. D’autres écrans, à la surface du lac, diffusent des traductions pour permettre de comprendre les paroles des chansons.
Dès le coup d’envoi, le narrateur apparaît perché sur la tête de Rigoletto. Il est suivi d’un cascadeur qui effectue un lent vol au-dessus du lac avant de culbuter en chutant vers l’eau. L’action sur la scène circulaire ne ralentit plus par la suite. Ça court, ça grimpe, ça finit accroché aux doigts de l’immense main droite. Ça s’envole dans la mont-golfière de la main gauche, aussi, et l’une des chanteuses pousse même la note assise sur le bord de la nacelle, une vingtaine de mètres dans les airs.
La vraie vérité, c’est que ça fait beaucoup pour les yeux pour un seul soir. Beaucoup d’action, d’acrobaties, de réalisations techniques hors du commun. Beaucoup d’opéra aussi.
Enfin, l’occasion est belle pour visiter la petite ville, au pied du mont Pfänder. Elle compte de très vieilles maisons et des églises patrimoniales, et apparemment la maison avec la plus étroite façade d’Europe.
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