Autrement dit, au lieu de déprimer, le romancier a fait le pari de s’amuser. D’opposer le fantastique et le magique à la tristesse de la réalité. Pour un écrivain qui est également conteur, l’exercice n’a pas été trop difficile.
« À tout ce qui me tracasse ou qui me navre dans le climat social dans lequel on semble s’enfoncer, la tentation pourrait être forte de répondre par un essai dénonciateur. Mais je trouve drôlement plus intéressant de parler de certains maux en apportant de la fantaisie », résume celui qui vient de publier, chez Alire, Le saint patron des plans foireux, son quatrième roman (et son sixième livre si on ajoute ses deux recueils de contes).
« Le fantastique, poursuit-il, c’est un entraînement pour l’imagination, mais qui aussi peut servir ailleurs. Si on regarde l’actualité et que les événements n’ont pas d’allure, on peut trouver de l’espoir et des solutions en sortant du cadre. Justement, l’écriture de ce roman a été difficile pour moi au début parce que j’écoutais trop les nouvelles. J’étais interpellé par ces absurdités incessantes et j’avais envie d’en parler. Jusqu’à ce que je m’aperçoive que ça avait pris le dessus et aplati toute la joie qu’il peut y avoir dans un roman. Il m’a donc fallu du temps pour retrouver l’équilibre », avoue celui qui a mis quatre années de travail dans ce nouvel ouvrage.
Au pays de la simonie
Philippe Sigouin, nouveau héros d’Éric Gauthier, n’est pas non plus indifférent à tout ce qui se passe alentour, mais il est vite rattrapé par le quotidien. Ce petit escroc accepte d’embarquer dans une combine inhabituelle : la simonie, c’est-à-dire le trafic d’objets religieux. En l’occurrence le squelette d’un saint, subtilisé dans une église allemande, et qu’un riche croyant montréalais serait prêt à payer à fort prix.
On s’en doute, l’entreprise ne se déroulera pas comme prévu : le macchabée sera volé par des filous inattendus et Sigouin sera plongé dans une folle course pour les coincer, tout en essayant d’échapper au client furax qui a mis ses sbires à ses trousses. Pour compliquer le tout, le défunt saint redevient vivant à la suite d’une bizarre cérémonie incantatoire.
Le point de départ de ce récit biscornu, c’est un article du Fortean Times, magazine britannique portant sur les phénomènes étranges. Le texte racontait l’histoire des reliques dont les églises allemandes ont été inondées au XVIe siècle par le Vatican, pour contrer la montée du protestantisme. Grâce aux ossements retrouvés à la même époque dans les catacombes romaines, les églises germaniques ont subi un déferlement de nouveaux saints… dont l’authenticité était évidemment plus que douteuse.
« J’ai trouvé cet article fascinant. En fait, je suis surtout intéressé par ce qu’il y a derrière : les croyances, les religions (qui sont souvent des sources d’histoires captivantes), ce besoin de rattacher des idées spirituelles à des choses très matérielles. J’ai aussi entrevu la possibilité de créer un personnage assez spectaculaire », rapporte cet Abitibien d’origine, établi à Sherbrooke depuis 2008.
D’ailleurs, observe Éric Gauthier, le Québec n’est pas exempt du phénomène des reliques. Hormis le célèbre cœur du frère André, plusieurs fragments d’os, morceaux de la croix du Christ et bouts de vêtements ayant prétendament appartenu à un saint ont foisonné à une autre époque, dans les églises nouvellement bâties.
« Je ne me souviens plus qui a dit que, si on rassemblait tous les morceaux de la sainte Croix qui circulent, on pourrait construire une armada de bateaux », mentionne l’auteur.
Entre deux os
Éric Gauthier voyait aussi, avec son histoire, l’occasion de mettre en scène cette tendance actuelle pour beaucoup de gens de se tourner vers la spiritualité, ou d’y faire un retour (dans le cas du livre, c’est un christianisme traditionnel et miraculeux qui refait surface), pour mieux supporter notre époque.
« Il y a des personnages qui sont convaincus que le monde a besoin de la parole d’un saint. Sigouin est un peu entre les deux. Oui, il a un bon fond, il souhaite ne pas penser qu’à lui, il est conscient que le monde actuel est désemparé, mais il a aussi l’habitude de chercher son profit, légalement ou non. »
Le petit malfrat sera évidemment ébranlé au moment de la résurrection du saint dérobé. En même temps, on retrouve dans Le saint patron des plans foireux le « réalisme magique » qu’affectionne Éric Gauthier, lequel n’a jamais caché s’être inspiré de Gabriel Garcia Marquez. En somme, Sigouin et son entourage s’accoutument très vite au fait de côtoyer un squelette vivant.
« Pour un conteur comme moi, écrire le merveilleux et le fantastique est toujours venu naturellement. Je dévore des livres de fantômes, de dragons et de loups-garous depuis que je suis tout petit. J’éprouve beaucoup de plaisir à aller dans ces eaux-là, car ça donne des façons inusitées de parler de ce qui est important, dans une forme de liberté. »
D’ici la parution d’une prochaine histoire, Éric Gauthier reprendra son collier de conteur et offrira quelques spectacles durant la belle saison. Dates et lieux restent à confirmer, sauf pour celui qui sera présenté le 6 juillet, en compagnie de Jean-Sébastien Dubé et Simon Venne-Landry. Il s’agit en fait d’une supplémentaire, avec un joueur en moins (Donald Dubuc ne pouvait y être), du spectacle Les gars aussi aiment les histoires d’amour, présenté au bistro La Capsule à la dernière Saint-Valentin.
Bibliographie
2002 Terre des pigeons
2008 Une fêlure au flanc du monde
2009 Feu blanc — Contes de la Lune
2011 Montréel
2015 La grande mort de Mononc’ Morbide
2019 Le saint patron des plans foireux
Vous voulez y aller?
Les gars aussi aiment les histoires d’amour
Samedi 6 juillet, 20 h
Camping rustique Orford
Contribution volontaire suggérée : de 5 $ à 15 $