Chronique|

Le charme discret de Chiloé

L’image la plus charmante de la ville de Castro est probablement ces maisons et commerces construits sur pilotis.

CHRONIQUE / Chiloé, cette île de la côte ouest du Chili, est un peu la petite sœur discrète qu’on ne remarque pas devant les prouesses des autres enfants. Entre les montagnes de Patagonie, le désert d’Atacama, les lacs de la région du même nom et les vignobles qui s’étendent entre Santiago et Valparaiso, Chiloé peut paraître bien pâle.


Contrairement aux autres régions du pays, là, il faut remplir ses bagages de temps et disposer d’une voiture. Si on veut tâter le pouls de cette île de pêcheurs, on peut difficilement accepter d’être à la merci des horaires de bus, qui relieront néanmoins la grande ville de Castro et d’autres agglomérations d’importance, comme Ancud et Quemchi.

Il faut aimer le calme, la pluie, le brouillard et les villages fantômes pour prendre son pied à Chiloé. Castro, la capitale, n’est peuplée que de 41 000 personnes. Une poignée de maisons, hôtels et restaurants sur pilotis, dans le fjord, en sont probablement l’image la plus charmante. Mais le reste de la ville, plutôt sans personnalité, rassemble des amoncellements de petites maisons couvertes de tôle.

Le jour de mon arrivée, dans la noirceur humide d’un soir très froid, les poêles à bois crachaient à souhait. Fin avril, on aurait presque pu s’attendre à de la neige, alors que l’automne commençait à peine à s’installer. L’odeur du bois brûlé s’infiltrait tellement partout qu’on pouvait presque la toucher. À l’intérieur de mon auberge emboucanée, la température refusait de grimper pour autant.

Dans le port, certains des meilleurs restaurants, vidés par la fin de la période touristique, proposaient le plat typique de la région : le curanto. Traditionnellement, le plat était préparé sur des pierres chaudes dans un trou creusé au sol. On couvrait le tout de tissu avant de recouvrir de terre et de laisser cuire pendant deux heures.

Le curanto, c’est un amoncellement de moules, de poisson, de pommes de terre, de porc et de saucisse. Le restaurant que j’ai visité, pour imiter la cuisson traditionnelle, servait toute cette viande sur de petites pierres chaudes. Et même si la serveuse insiste pour dire qu’une platée convient pour une personne, mieux vaut partager si c’est possible.

L’autre attraction, pour les amateurs d’histoire et de symboles religieux, c’est l’église Nuestra Señora de Gracia de Nercón, une des seize églises de bois de Chiloé inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Rénovée en 2012, elle a été construite entre 1887 et 1889. Il s’agit probablement d’une des structures les mieux entretenues de tout le circuit des églises patrimoniales.

Il est effectivement possible de visiter certaines de ces églises caractéristiques, toutes dotées d’une tour donnant sur une esplanade. Plusieurs ont été construites sur des collines pour éviter les inondations. Amateur de sites historiques, je m’étais donné la mission d’en voir quelques-unes.

Parmi mes coups de cœur, celle de Chonchi, colorée, ressort du lot en raison du village où elle est située. L’endroit sympathique, parsemé de petits restaurants, de cafés et d’une promenade de bord de mer, constitue un arrêt plus que sympathique au sud de Castro. On s’y sent au bout du monde tout en ayant accès à tous les services essentiels. Si ça se trouve, il est probablement plus intéressant d’y prévoir une nuit qu’à Castro si on préfère le charme villageois.

L’église de la charmante petite ville de Chonchi fait partie des 16 établissements religieux de Chiloé inscrits au patrimoine mondiale de l’UNESCO.

À Achao, sur l’île de Quinchao, l’église en a vu des marées. Construite en 1740, elle est la plus vieille de tout Chiloé. Rénovée, elle se tient fière dans cette petite bourgade de 3500 habitants. Si on en fait le tour en cinq minutes, on peut flâner dans le village, qui sert de point de départ pour plusieurs petites îles de la région. Au restaurant Mar y Velas, situé devant un quai constamment animé, on peut observer le va-et-vient des navettes maritimes.

Toutes les petites églises ne valent pourtant pas le détour. Dans les hameaux minuscules et isolés, parce qu’il y a bel et bien plus petit que les villages à 3500 habitants, les bâtiments sont cadenassés, parfois pratiquement laissés à l’abandon. Pour des joyaux classés sur la liste du patrimoine mondial, ils ne donnent pas l’impression d’être tellement précieux.

C’est le cas à Vilupulli, au bout d’un chemin de terre où se trouvent trois ou quatre maisons. Pareil vers Villa Quinchao, à une douzaine de kilomètres au sud d’Achao.

Les chemins de terre peuvent d’ailleurs donner quelques maux de tête si, comme moi, vous optez pour une petite voiture manuelle au moteur à peine plus puissant que celui d’un rasoir électrique. Pour voir l’église de San Juan, le GPS recommandait un virage sur un chemin de terre sur la droite. Son emprise était pratiquement camouflée pour la végétation.

Une fois engagé, pas moyen de faire demi-tour. La route, à peine large pour une seule voiture, s’enfonce réellement vers nulle part. Une trentaine de minutes plus tard, alors que je rejoins une voie de circulation plus large, mais toujours terreuse, le gravier plonge pratiquement à la verticale. Oui, l’église se trouve tout en bas, sur le rivage. Du coup, c’est la remontée, dans la rocaille glissante, qui m’effraie un tantinet. La bagnole a toussé un brin et y a laissé une bonne partie de son souffle.

Tout en bas, des navires de pêche en cale sèche sont entassés. Le bruit des ponceuses et des marteaux retentit. Des hommes sont aussi en train de bâtir un bateau tout neuf. Mais dans le semblant de village, où la peinture des bancs de parc date d’avant ma naissance où les petites maisons courbent sous le poids des années, l’église tient bon, quelques carreaux de fenêtres en moins. C’est là que j’ai compris qu’il serait fort inutile d’essayer de voir d’autres bâtiments religieux identiques et quasi abandonnés.

Sinon, les amateurs de plein air voudront peut-être s’aventurer vers le parc national de Chiloé, mais à première vue, il ne présentait rien de bien séduisant. Au bout d’un autre chemin de terre, un sentier mène néanmoins à la Muelle de las Almas, une promenade de bois qui s’arrête subitement devant la mer. On dit qu’il s’agit d’un tremplin pour les âmes qui quittent l’île. La randonnée, facile, est plaisante.

Si la saison le permet, près de la jolie ville d’Ancud, il est aussi possible d’observer des pingouins. Les petits volatiles n’y étaient pas lors de mon passage.

Chiloé, à mes yeux, c’est un chapelet de petits villages calqués sur la Gaspésie qui appellent à la contemplation.

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