Dompter l’instantané

Du 14 juin au 15 septembre 2019, Jean Beaudoin exposera une série de trois de ses Polaroids dans le cadre de l’exposition collective Le projet Polaroid - Art et Technologie au Musée McCord à Montréal.

Comme avec un « cheval sauvage » qu’on essaierait de dompter, Jean Beaudoin, alias « l’Irréductible Polagraphe », manie minutieusement le Polaroid, sachant pertinemment qu’il n’aura pas le dernier mot.


« C’est l’image qui décide », dit celui qui pratique cet art depuis 2010, année où il a fait sien un appareil à développement instantané qu’il avait déniché dans un vide-grenier. Aujourd’hui, sa collection s’élève à une trentaine d’appareils. « Il y a quelque chose de mystique. On ne peut pas contrôler en Polaroid : c’est la photo qui décide de l’exposition qu’elle aura. Même la teinte de l’image varie selon le temps à l’extérieur », illustre-t-il en montrant de ses clichés. Le froid transcende dans le bleu des clichés hivernaux alors que les photos estivales affichent plutôt un voile orangé.

La chimie de ce type de négatifs le passionne, et sa contemplation est aussi infinie que leur temps de développement : au fil des années, les photos révèlent lentement de nouvelles couleurs.

D’un cadre à l’autre

De toute façon, ce n’est pas le contrôle que Jean Beaudoin recherche avec la photographie, art qu’il affectionnait déjà bien avant sa fameuse rencontre avec les Polaroids. Travailleur en entretien des bâtiments chez Wiptec, il s’évade plutôt du « cadre serré » de son quotidien avec... un autre cadre serré! Mais cette fois, avec le petit carré de son viseur, il parvient à s’abandonner, en apprivoisant librement les compositions qui l’interpellent. « Ça vient d’en dedans de moi », confie-t-il.

Ses sujets privilégiés sont les éléments de la rue, « de la vie simple dans une ville ». Lorsqu’il se balade, il emporte toujours son appareil Polaroid fétiche de 1975 et son 35 mm numérique. « Car ce n’est pas tout qui peut être judicieusement transposé sur ce genre de photos. Lorsque je regarde quelque chose, je me dis : “Ça, c’est Polaroid” ou “ça, c’est numérique”. »

Et avec huit poses valant 5 $ chacune par cassette, le sujet a avantage à être compatible.

D’autant plus que le photographe porte un profond respect pour l’histoire de ces appareils. « J’ai quelque chose de vintage entre les mains; je ne peux pas poser quelque chose de moderne. »

Trois clichés de Jean Beaudoin, dont celui-ci qui sera présenté tout l’été au Musée McCord de Montréal.

Dans son art, Jean Beaudoin espère éveiller les souvenirs, comme lorsqu’une dame lui a demandé si une de ses photographies en était une d’un parc montréalais aujourd’hui disparu.

« Elle m’a dit : “Ça me rappelle des images de ce parc.” C’est vraiment le mot-clé, “rappeler”. Il est là, le côté mystérieux. »

Expo collective à McCord

Du 14 juin au 15 septembre 2019, Jean Beaudoin exposera une série de trois de ses Polaroids dans le cadre de l’exposition collective Le projet Polaroid — Art et Technologie au Musée McCord à Montréal. Il a baptisé l’ensemble Série amusement, captivé par ses sujets à saveur ludique : un manège d’exposition agricole au Vermont, un parc d’attractions à Nantes et la façade du Lulu’s Café, un restaurant à l’ambiance 60’s en Caroline du Sud.

« Les expos de Polaroïd, ça se fait toujours en collectif », note-t-il, emballé de rencontrer de nouveaux passionnés lors du vernissage privé de l’exposition.

Depuis 2012, Jean Beaudoin expose chaque année à Nantes en France en collaboration avec l’association Expolaroid, pour qui il est aujourd’hui représentant québécois. À Nantes ou à Rennes, ville où il travaille plutôt avec Tête de l’Art, ses « Polas » ont été exposés en galerie, dans le métro et même sur les murs d’une piscine publique.

Scrapage et autres techniques alternatives

L’Irréductible Polagraphe ne s’arrête cependant pas qu’à la prise d’instantanés. L’exposition du musée McCord n’affichera que des clichés originaux, mais Jean Beaudoin s’adonne aussi laborieusement au scrapage de Polaroids. Téméraire, il choisit un Polaroid et sépare le négatif de l’imprimé, ce premier étant accolé sous le dernier. Avec un pinceau, un coton-tige ou un autre outil, il appose de l’eau de Javel sur le négatif pour en faire émerger des couches de couleurs enfouies, le tout quasi aveuglément.

« C’est un laisser-aller, le négatif fait le travail et je numérise ensuite le tout pour voir ce que ça a donné. »

Et la partie imprimée? Celle des photos qui se qualifient est manipulée afin qu’elle puisse être transférée sur un autre support. Des plaques de métal, d’ardoise ou de céramique, par exemple, arborent désormais des œuvres signées Jean Beaudoin.

L’artiste a d’ailleurs réuni ses Polaroids favoris dans un livre, quels que soient leur état de transformation ou leur support. Pas de point de vente officiel encore pour Tout ce qui est, mais les intéressés peuvent le contacter personnellement au info@irreductible-polagraphe.com.