Chronique|

Sur le flanc du volcan Villarrica

Pour atteindre le sommet du volcan Villarrica, il faut prévoir environ deux heures de marche dans la pierre volcanique avant d’enfiler les crampons pour deux heures supplémentaires dans la neige ou la glace.

CHRONIQUE / L’autobus avait quitté Santiago, la capitale du Chili, en même temps que le jour finissait de s’effacer sous un ciel obscur. Il s’était immobilisé, les vitres couvertes des gouttelettes de condensation, presque neuf heures plus tard, à environ 800 kilomètres de là, dans la petite ville de Pucón.


Le ciel, à Pucón, était encore nimbé de sa rosée du matin. C’était l’heure où l’humidité et les rayons neufs du soleil nous dardent avec la même force. Les volutes s’échappant des cheminées faiblissaient à vue d’œil laissant dans le fond de l’air frais un subtil arôme boisé.

Pucón dormait encore. Ses chiens, eux, aboyaient déjà au passage des touristes qui arrivaient. À l’horizon, plus loin qu’il ne le paraissait, le volcan Villarrica se découpait sur un ciel complètement clair. Il fumait abondamment dans un épais nuage gris-blanc. Près de sa cime, un couvert de neige habillait ses flancs.

L’ascension du volcan Villarrica est l’une des activités les plus populaires dans cette région du Chili. Plusieurs agences proposent des excursions qui permettront d’atteindre son sommet, à 2847 mètres d’altitude. Les conditions météorologiques doivent toutefois être favorables et il arrive que des randonneurs attendent plusieurs jours avant de pouvoir dompter la bête.

Le volcan Villarrica est l’un des plus actifs en Amérique du Sud. Une éruption spectaculaire est survenue en mars 2015, forçant l’évacuation de plus de 3400 personnes. Mais ne vous en faites pas, assurait mon guide, avant toute éruption, le volcan donne des signes plusieurs jours à l’avance. Il est donc fort improbable de se retrouver sur ses pentes quand il s’active.

Mais voilà. Villarrica a cette aura. Cette aura qu’il vous donnera bien du fil à retordre si jamais vous décidez de l’attaquer. Dieu seul sait d’où ça vient, mais à l’auberge où je logeais, tous ceux qui levaient la main pour un périple sur le volcan semblaient présenter ce soupçon d’hésitation. Un tout petit soupçon. D’hésitation.

Parce qu’on ne grimpe pas un volcan en gestation tous les jours, j’ai consulté mon ami Google pour en apprendre davantage. On vous dit de ne pas diagnostiquer vos bobos sur l’internet? Pareil pour les avis concernant certaines activités touristiques : à lire avec modération.

Je suis d’abord tombé sur cette blogueuse, rassurante au possible, qui s’était convaincue qu’elle y laisserait sa peau avant d’avoir atteint le cratère. Finalement, nada! Une balade de santé, qu’elle dit.

Presque convaincu, j’ai poursuivi la lecture avec une contre-expertise.

Le gars semblait décrire une scène de la Deuxième Guerre mondiale. Ses jambes refusaient d’avancer, qu’il a écrit. Il devait les soulever avec ses bras, qu’il disait. Et il est passé à ça de glisser et de mourir. Excellent vendeur! Où est-ce qu’on signe?

Le départ s’effectue entre 6 h et 7 h du matin. La plupart des compagnies fournissent tout l’équipement nécessaire à l’ascension : un sac à dos, des bottes, des crampons, des guêtres, un manteau, un casque, un masque à gaz et une petite luge de plastique pour la descente. S’ajoute un pic à glace.

Je ne sais pas pour vous, mais le randonneur amateur en moi s’est pris de nervosité quand il a appris qu’il devrait manier le pic à glace. J’ai l’habitude de composer sans… et d’éviter les endroits où j’en aurais besoin.

Pour redescendre le volcan, on utilise une luge de plastique qu’on dirige à l’aide d’un pic à glace.

Au pied du volcan, ce matin-là, nous nous trouvions déjà au-dessus des nuages. Le plafond atmosphérique couvrait les villes en contrebas et laissait dépasser la cime de quelques collines. L’horizon gardait les dernières traces du soleil levant. Calme, Villarrica se faisait majestueux.

Le pic bien attaché sur le sac à dos, les bottes bien lacées, on se place en file pour marcher cinq grosses minutes. Là, un choix s’offre à nous : télésiège ou « sentier » pédestre? En cinq minutes, on peut franchir plusieurs dizaines de mètres d’altitude et économiser l’équivalent d’une heure de marche en utilisant le remonte-pente. Si certains craignent de paraître lâches, il reste que toute cette énergie pourra être utile à l’approche du sommet. Vos jambes vous remercieront.

Va pour le télésiège qui nous dépose à environ quatre heures du sommet. Et on se met en marche en tentant de garder un rythme lent mais constant.

J’ai déjà dit que j’emmerdais les canyons? C’est qu’ils nous amadouent en proposant d’abord la descente et en nous faisant baver au retour, en montant, alors qu’on a déjà entamé notre énergie et notre enthousiasme. C’est un peu le même principe pour les volcans, qui montent comme ça, tout le temps, en nous glissant sous les pieds une pierre poussiéreuse ultradérapante. Un pas en avant, et hop, on recule un brin. Un autre pas, et hop, on recule encore.

Après deux heures dans la petite pierre, on enfile les crampons. Le guide en profite pour un petit cours de survie en cas de chute dans la glace. Le pic, si vous l’avez bien agrippé, servira à ralentir la dégringolade. Et quand vous serez un peu épuisé, près du sommet, il est préférable de ne pas arrêter la progression en raison des éboulis de pierres grosses comme des voitures.

Je me suis arrêté quand même. Parce que plus de souffle. Parce que moins d’énergie. Mais ma raison officielle, pour avoir la réputation sauve, c’est que je voulais admirer le paysage.

Ce jour-là, les nuages ne se sont jamais dispersés complètement. Pucón a eu droit à une journée grise. Villarrica, lui, brillait sous un soleil de plomb. Il faisait scintiller les feuilles rouges de l’automne, à ses pieds.

Tout en haut, pas de lave dans le cratère, mais suffisamment de fumée pour justifier l’utilisation du masque à gaz. Le volcan grondait mais ne se montrait pas menaçant.

C’est majestueux, le Chili. Encore plus du haut d’un volcan.

Et pour redescendre, dans des tranchées creusées dans la neige, nous avons bel et bien utilisé notre luge de plastique, bien attachée à notre ceinture. Le pic à glace en guise de guidon et de frein, nous avons dévalé les pentes pour économiser deux bonnes heures de marche.

En milieu d’après-midi, sur le chemin du retour, la sieste frappait fort aux vitres de notre minifourgonnette. Et nous rêvions tous des gigantesques burgers de Cassis, un restaurant reconnu de Pucón.

Le verdict? Ne vous laissez pas berner. Loin d’être facile, l’ascension du volcan Villarrica n’est pourtant pas aussi difficile qu’on peut vous le laisser croire.

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