Pour une toponymie équitable à l'UdeS

Gabriel Martin souhaite que les mécanismes nécessaires à l’adoption de nouveaux toponymes féminins soient mis en place d’ici mars 2020.

Une toponymie plus équitable pourrait être mise en place sur le campus de l’Université de Sherbrooke, plaident Gabriel Martin, un étudiant à la maîtrise en linguistique de l’institution, aux côtés d’autres signataires qui lui donnent son appui dans une lettre envoyée au recteur de l’UdeS, Pierre Cossette.


Si à Sherbrooke « le mouvement pour la toponymie paritaire est bien engagé », le « pronostic est plus sombre », constate M. Martin, qui a envoyé la missive à Dr Cossette en mars dernier, et dont La Tribune a obtenu copie. L’auteur est appuyé par la conseillère municipale Évelyne Beaudin, l’historienne et professeure émérite Micheline Dumont, Nicole Dorin, qui a longtemps été au Conseil du statut de la femme, Sarah Beaudoin, militante féministe et coautrice, le CALACS Agression Estrie et les Pépines. Jusqu’ici, il n’a reçu qu’un accusé de réception.

« Un coup d’œil sur le plan du campus principal permet de constater que les principaux lieux » de l’UdeS, de la salle Maurice-O’Bready à la bibliothèque Roger-Maltais, « sont exclusivement nommés en l’honneur d’hommes ». 

« Jusqu’à maintenant, presque uniquement des hommes se sont vus reconnus dans la toponymie de l’université, la seule exception étant Denise Paul, en l’honneur de qui est nommée l’École des sciences infirmières ». Or, la suggestion de choisir des noms rendant justice à l’apport des femmes avait été faite au comité consultatif de l’époque, note-t-il, par l’entremise d’une lettre ouverte dans la publication de l’UdeS, Liaison, en 2001. 

« Il y a lieu de se demander si la politique de toponymie, qui priorise les fondateurs de l’établissement et n’admet que les personnes décédées, ne serait pas implicitement défavorable aux femmes. Nombre de professeures et étudiantes ont déjà marqué l’histoire de notre université et leur absence de toponymie portent à se questionner ». 

« On peut socialement remettre en question cette règle-là. Socialement, il y a une volonté de questionner cela », note Gabriel Martin, coauteur du Répertoire des gentilés officiels du Québec aux côtés de Jean-Yves Dugas. 

Des suggestions

Le comité de toponymie de l’UdeS, qui s’appuie sur les critères de la Commission de toponymie du Québec (notamment en ce qui concerne le nom de personnes décédées), pourrait décider de ne pas suivre ces critères. Une municipalité, par exemple, pourrait décider de ne pas suivre les recommandations de la Commission. « Dans de tels cas, la Commission de toponymie n'accepte pas de les officialiser, mais rien n'en interdit pour autant l’usage. » Gabriel Martin note que sans changer les noms de pavillon de l’UdeS, on pourrait revoir l’appellation des voies de circulation sur le campus, qui sont simplement numérotées et qui serait une belle façon de mettre en valeur les femmes de l’institution. Il cite en exemple Andrée Désilets, historienne et toponymiste aujourd’hui décédée, mais aussi des chercheuses « qu’il serait possible d’honorer de leur vivant, comme Armande Saint-Jean et Hélène Cajolet-Laganière. »

La lutte pour la féminisation des toponymes ne semble pas concrète, observe Sarah Beaudoin, militante féministe qui a signé la lettre. M. Martin et Mme Beaudoin lanceront en septembre le livre Femmes et toponymie : de l’occultation à la parité. « Au premier abord, ça ne semble pas concret. Juste le fait de représenter 50 % de la population, c’est super nécessaire. »

« C’est juste le gros bon sens, c’est un souci de représentativité. Même si les conditions des femmes sont meilleures qu’avant, il reste beaucoup de luttes à être menées. Faire des toponymes plus paritaires, les féminiser, c’est une étape de plus vers une modification du système », souligne-t-elle. 

Gabriel Martin souhaite que les mécanismes nécessaires à l’adoption de nouveaux toponymes féminins soient mis en place d’ici mars 2020. En avançant ainsi un échéancier, il souhaite qu’on cesse de repousser cet enjeu... dont on parlait déjà en 2001.

L’UdeS veut atteindre la zone paritaire dans ses conseils

L’Université de Sherbrooke n’a pour le moment pas l’intention de se distancier des façons de faire de la Commission de toponymie du Québec. D’autres moyens peuvent être mis en place pour honorer le travail et la mémoire des femmes, avance la secrétaire générale de l’institution, Jocelyne Faucher. Cette dernière dévoile du même coup que l’UdeS s’est donné comme objectif d’atteindre la « zone paritaire » pour l’ensemble de ses conseils, du conseil d’administration en passant par le conseil universitaire, par l’implantation d’un projet sur cette question.

L’UdeS compte un comité de toponymie dont le mandat est de recevoir les suggestions et de les analyser. « Nos critères s’appuient sur ceux de la Commission de toponymie du Québec, qui sont inspirés des règles internationales. On sait que la toponymie est une discipline en soi », commente Mme Faucher, en soulignant que ces règles « validées et reconnues » ne prêtent pas flanc à la critique.

Dans la lettre envoyée à l’UdeS, l’auteur Gabriel Martin s’interroge à savoir s’il n’y a pas lieu de questionner la politique de toponymie, qui priorise des fondateurs et qui n’admet que les personnes décédées, ce qui serait défavorable aux femmes. Interrogée à savoir si l’institution pourrait s’éloigner de ces critères plus restrictifs, Jocelyne Faucher répond que « ce n’est pas par là qu’on s’en va », en rappelant qu’outre la toponymie, l’UdeS s’appuie sur des actions et la reconnaissance des femmes. « Il reste encore beaucoup de bâtiments, de locaux, de hall ou de salle de conférences qui n’ont pas été désignés. Il y a encore de la place dans l’avenir pour honorer les femmes », plaide-t-elle toutefois.

« La toponymie n’est pas la seule façon de reconnaître la contribution universitaire », avance la secrétaire générale de l’institution, Jocelyne Faucher.

Trop rigide

L’UdeS s’est donné comme objectif d’atteindre la zone paritaire sur ses conseils, en plus d’augmenter la proportion de femmes en génie et en science. « La toponymie n’est pas la seule façon de reconnaître la contribution universitaire », souligne Mme Faucher. L’institution vient d’implanter le projet visant à atteindre la zone paritaire, soit d’atteindre 40 % de femmes.  

« Dans plusieurs conseils, il y a des membres d’office et une portion de membres de la communauté universitaire (...) Ces personnes-là sont choisies par leurs pairs. On a convenu notamment avec les associations étudiantes, et on en a informé les syndicats, que lorsqu’on va chercher une personne pour remplacer, on va se permettre lors de l’appel de candidatures, de dire que c’est une candidature féminine qui devrait être choisie, soit pour maintenir ou atteindre la zone paritaire dans cette instance-là. » Cette nouvelle façon de faire est entrée en vigueur cet hiver. « On a eu une bonne réception quand on a présenté cette modalité. On s’est inspiré de ce qui se fait dans les sociétés d’État, où la zone paritaire doit être atteinte. » La volonté d’atteindre 50-50 aurait pu être trop rigide, remarque-t-elle. « Il faut se laisser une marge de manœuvre parce que les mandats ne se terminent pas tous en même temps. Quarante-soixante, c’est une zone où on peut être confortable. »  

Quant à la suggestion de M. Martin concernant la toponymie féminine des voies de circulation, Mme Faucher estime qu’il s’agit d’un autre dossier, soit celle de la signalisation, sur lequel elle ne peut s’avancer.