Chronique|

Un amour de daïkon

Kameido Masumoto est un restaurant ouvert depuis près de 115 ans à Tokyo, au Japon.

CHRONIQUE / Une fois, en arpentant les allées de mon épicerie, j’ai pris une chance de déposer un daïkon dans mon panier. Jamais auparavant je n’avais goûté ce radis blanc, que certains appellent radis d’hiver ou radis japonais. Son goût très prononcé ne m’avait pas convaincu.


À Tokyo, au Japon, le restaurant Kameido Masumoto a réhabilité le daïkon, plus précisément une variété rare, le daïkon kameido, qui a presque disparu des tablettes des épiciers. Autrefois très populaire, ce légume-racine se vend maintenant à gros prix en raison de sa rareté.

Avec un préjugé défavorable, j’acceptais néanmoins de visiter cet établissement qui souhaitait mettre en valeur son ingrédient chouchou. La gastronomie japonaise étant plutôt porteuse de belles surprises, il y avait fort à parier que les saveurs proposées n’auraient rien à voir avec ce que j’imaginais.

Kameido Masumoto est un restaurant ouvert depuis près de 115 ans. Un des propriétaires, Mitsunobu Tsukamoto, raconte que la région où poussent les daïkons kameido était autrefois composée de plusieurs îles aux terres très fertiles. Si le daïkon peut atteindre une taille considérable, la variété kameido est plus petite et a plutôt la taille d’une carotte.

« Il a une texture semblable à celle d’une carotte et on peut le cuire longtemps sans qu’il perde sa forme. Autrefois, personne n’achetait ce daïkon parce qu’on en trouvait partout. C’était la nourriture des gens ordinaires. Mais maintenant, on le trouve dans les grands restaurants », dit-il.

En plus de l’inclure dans certains mets, comme la soupe aux fruits de mer, et de le mariner, le restaurant utilise le légume-racine pour ses propriétés sucrées. Il contiendrait deux fois plus de vitamine C qu’un daïkon traditionnel et serait aussi plus sucré.

« Son sucre a moins d’impacts négatifs sur le corps que le sucre raffiné. »

Au restaurant Kameido Masumoto, aux allures traditionnelles, on s’en sert pour faire des petits pains fourrés qui contiennent sept ingrédients différents, dont des pousses de bambou, de la baie de goji, des shiitakés et des noix de pin. On les sert en dessert et même s’ils sont un peu sucrés, ils n’ont rien de comparable avec les sucreries qu’on nous sert au Canada. La pâtisserie n’a pas fait fureur auprès des collègues à mon retour au Canada, mais c’est un goût qui se développe.

À une vingtaine de minutes de là en voiture, en quittant le béton et les édifices aux multiples étages, on arrive dans un quartier un tantinet moins développé, une espèce de campagne à la ville, qui, pour Tokyo, ressemble à une banlieue tranquille du Québec. Les maisons y plutôt basses, les rues désertes et dépourvues de feux de circulation.

Sur un lopin de terre grand comme environ deux maisons, Shigeyoshi Kimura a érigé une dizaine de serres où il cultive notamment le daïkon kameido. La terre appartient à sa famille depuis 14 générations et plusieurs membres de sa famille travaillent sur la ferme où pousse une vingtaine de variétés de légumes, dont des tomates, du concombre, des aubergines et du brocoli.

Shigeyoshi Kimura cultive entre 3000 et 4000 daïkons tous les mois, entre la fin octobre et la fin avril.

C’est le gérant du restaurant qui lui a proposé de faire pousser le daïkon, un légume-racine qui pousse bien en hiver.

Les daïkons de Shigeyoshi Kimura trouvent principalement preneur à Tokyo, entre autres auprès de certains restaurants. « Mon père et mon grand-père cultivaient principalement des légumes, dont le komatsuna, une forme d’épinard. J’ai transformé la production pour faire pousser le daïkon. Ma production atteint 3000 à 4000 daïkons par mois entre la fin octobre et la fin avril. »

M. Kimura rapporte qu’il est difficile de trouver ce légume-racine en raison du temps qu’il met à pousser. « On ne peut pas utiliser de machine pour le récolter. On doit vérifier chaque légume individuellement. »

De surcroît, il ne se conserve pas très longtemps sur les tablettes.

Au moment de mon passage, celui qui écrit aussi des livres dans ses temps libres sous le nom de plume de Keiichiro Fujitami venait tout juste de finir un livre de fiction ayant pour thème central… le daïkon. « C’est un roman sur le slow food », a-t-il admis, précisant qu’il mettait en vedette un agriculteur.

L’agriculture en plein Tokyo prend donc une place importante dans la vie de cet homme de 45 ans, puisqu’il possède environ 1000 mètres carrés de terre en plus d’une parcelle d’environ 250 mètres carrés qui sert à l’enseignement de l’agriculture.

M. Kimura estime que les saveurs traditionnelles peuvent très bien se marier à la cuisine qui a tendance à s’occidentaliser. Il espère d’ailleurs que les Jeux olympiques de Tokyo, qui se tiendront en 2020, lui permettront de faire la promotion de ses produits.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com

Le journaliste était l’invité du Foreign Press Center Japan.