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Les doués, ces oubliés

La douance est «la combinaison d’aptitudes nettement au-dessus de la moyenne ainsi que d’autres caractéristiques importantes», selon l’AQD. «Ce n’est donc pas juste un haut quotient intellectuel», avertit Stéphanie Deslauriers, directrice scientifique de l’Association québécoise pour la douance.

CHRONIQUE/ On a beaucoup parlé des enfants « à problème » dernièrement dans les médias. D’abord avec la sortie des pédiatres sur la surmédicamentation de ceux chez qui on diagnostique (parfois à tort) un TDA/H, puis avec le projet de maternelle 4 ans du gouvernement caquiste afin d’offrir aux jeunes vulnérables une chance de mieux partir dans la vie.


Depuis trois ans, toutefois, une autre problématique éducationnelle fait jaser, bien que moins bruyamment : celle de la douance. Ses conséquences n’en sont pas moins préoccupantes...

La douance chez l’enfant demeure encore très peu connue, rapportait Radio-Canada en janvier dernier. Pourtant, « on sait pertinemment aujourd’hui que les enfants surdoués ont des besoins particuliers », notamment en matière de rapidité d’apprentissage, de réduction de la répétition et de qualité de l’enseignement, faisait valoir la psychologue et neuropsychologue Marianne Bélanger. « Si ces besoins ne sont pas remplis, ils vont sous-performer, mais ils vont surtout risquer de développer des difficultés de santé psychologique. »

Dépression, trouble d’anxiété généralisée, bipolarité et trouble de personnalité borderline... les diagnostics, parfois erronés, peuvent varier énormément, précise la directrice scientifique de l’Association québécoise pour la douance (AQD), Stéphanie Deslauriers. « On peut même rencontrer des jeunes de sept ou huit ans avec des pensées suicidaires ! »

Par ailleurs, poursuit-elle, plusieurs enfants reçoivent un faux diagnostic de TDA/H et seraient, en réalité, des jeunes à haut potentiel sous-stimulés. « En général, ils répondent mal à la médication, qui augmente leur anxiété et les rend apathiques », dit-elle. Leur inattention est causée par le fait qu’ils s’ennuient et trouvent le temps long, notamment.

Le drame, c’est que quand un jeune commence à sous-performer, si on note une perte de motivation, c’est extrêmement difficile à renverser, enchaîne-t-elle. D’ailleurs, 5 à 10 % des décrocheurs seraient en fait des doués, si on extrapole à partir d’études réalisées aux États-Unis.

Plusieurs études ont démontré que de jeunes doués sous stimulés se sont retrouvés, à 30 ans, à occuper des emplois en deçà de leurs compétences et dans lesquels ils ne se sentaient pas satisfaits et épanouis.

Bon, il ne faut pas s’alarmer non plus, beaucoup de personnes douées fonctionnent très bien. Mais quand l’écart avec la moyenne de la population est trop important, ou quand ils démontrent un trouble concomitant (trouble d’apprentissage, TDA/H, trouble du spectre de l’autisme, trouble affectif ou trouble de comportement — ce qui n’est pas rare), c’est là que les problèmes surgissent, qu’il vaut mieux aller chercher une évaluation et de l’aide spécialisée.

Pas toujours un cadeau
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, être doué, ce n’est donc pas toujours un cadeau. Pour la personne et pour ses proches. « Il y a beaucoup de souffrance, les personnes douées disent se sentir différentes, incomprises. Et les parents de ces jeunes sont souvent à bout de souffle. Ce sont des enfants qui demandent énormément. Ils dorment généralement peu, et ce, depuis leur naissance, ont une énergie débordante et une curiosité insatiable qui les pousse à poser des questions à n’en plus finir... Ils sont très intenses dans tout. »

On pourrait croire qu’ils sont peu nombreux, mais en réalité, 2 à 5 % des enfants seraient doués. « On estime qu’il y en aurait un ou deux par classe », indique Mme Deslauriers.

C’est quand même beaucoup, non ? « Oui. Voilà pourquoi le besoin est criant que les écoles s’adaptent aux doués et répondent à leurs besoins. »

Elles devraient, par exemple, appliquer des mesures de différenciation, au même titre qu’elles le font pour les élèves en difficulté. « Sauter une année dans la matière dans laquelle le jeune possède une douance, favoriser l’apprentissage autonome, à son rythme, comme aux adultes, donner des travaux d’enrichissement pour approfondir un sujet qui intéresse le jeune, etc. », suggère-t-elle.

« L’important, c’est qu’ils aient des défis à la hauteur de leurs compétences. C’est primordial pour le développement de l’estime de soi. Celle-ci se construit par l’accumulation de succès dans des tâches qu’on ne croyait pas pouvoir accomplir. Quand tout est facile, le jeune ne se bâtit pas une estime de soi. Ce sera d’autant plus difficile pour lui de surmonter les obstacles lorsqu’il frappera un mur. »

Maternelle 4 ans
Considérant tout ça, je ne peux m’empêcher de penser que la maternelle 4 ans pourrait peut-être aussi s’avérer une bonne idée pour tous ces enfants doués — et même ceux qui font simplement preuve de facilité ou sont un peu en avance sur leur âge. Ils sont plusieurs, dans leur dernière année de garderie, à trouver le temps long avant de passer à la prochaine étape. « C’est plate ! Je ne suis plus un bébé ! », m’a souvent répété ma plus vieille avide d’apprendre... du haut de ses 4 ans et demi.

D’un autre côté, on sait tous que les milieux scolaires en ont déjà amplement dans leur cour, et qu’il est presque gênant d’en demander plus à un personnel déjà débordé — et insuffisant. Pourtant, la solution n’est pas de laisser l’enfant à lui-même. Que pourrait-on faire de plus ? Que pourrait-on faire mieux ? Que pourrait-on faire autrement ? En tant que parents, en tant que système d’éducation, en tant que société.

Je pose la question...

Pour plus d’informations sur la douance, on peut notamment consulter le site de l’AQD (aqdouance.org).

+ LA DOUANCE, C'EST QUOI ?

La douance est « la combinaison d’aptitudes nettement au-dessus de la moyenne, ainsi que d’autres caractéristiques importantes », selon l’Association québécoise pour la douance. « Ce n’est donc pas juste un haut quotient intellectuel», avertit Stéphanie Deslauriers, directrice scientifique de l’AQD. « Et un doué ne sera pas nécessairement bon dans tout. Il peut avoir un domaine de prédilection, comme il peut avoir une douance plus générale. »

Les autres caractéristiques importantes prises en compte sont la créativité artistique, mais également dans l’originalité à trouver des solutions à un problème, ainsi que l’engagement dans un sujet qui l’intéresse. « La personne va se surinvestir dans l’activité. »

Stéphanie Deslauriers précise que la douance n’est « ni un diagnostic ni un trouble ; c’est une façon différente de fonctionner ».

« Il y a une base neurologique ; c’est prouvé que le cerveau des doués fonctionne autrement que la moyenne des gens : leurs deux hémisphères communiquent entre eux différemment, il y a plus de connexions et la gaine de myéline est plus épaisse, ce qui accélère la transmission d’informations. En gros, leur cerveau va plus vite que la moyenne des gens. »

C’est toutefois l’environnement dans lequel grandira le jeune qui favorisera l’émergence de la douance ou l’inhibera. Marie-Ève Lambert