J’ai descendu les escaliers de l’auberge, un bout de rêve encore collé derrière les yeux, quand je l’ai vue passer la porte. Je me souviens avoir été impressionné, gêné un peu aussi, qu’elle ait déjà terminé son jogging matinal alors que mon pied gauche dormait encore quelque part à l’étage.
Sociable mais indépendante, Dalia essaimait les conversations avec les voyageurs présents ce jour-là. J’ai remarqué sa grande intelligence et son côté taquin à la fois. Elle m’a raconté un peu son Mexique natal avant de prendre la route pour Sao Paulo. Elle m’a promis de me refiler les bonnes adresses qu’elle y trouverait.
À Sao Paulo, où j’étais arrivé en pleine nuit, le propriétaire de l’auberge dormait beaucoup trop dur pour entendre la sonnette de la porte. Prisonnier du grand air, prenant mon mal en patience dans la nuit noire, je m’étais adossé contre la porte verrouillée. Par le plus grand des hasards, c’est Dalia qui m’a ouvert en rentrant d’une soirée qui s’était prolongée.
Nous nous sommes croisés à quelques occasions dans les jours qui ont suivi, si bien que nous nous sommes promis de garder contact.
Trois ans plus tard, une pause soleil s’imposait dans un automne qui se prolongeait. Cuba? Guatemala? Pourquoi pas le Mexique?, m’a suggéré Dalia. Établie à Mexico, elle n’avait jamais mis les pieds dans le Yucatan. Si je répondais à l’appel de Chichén Itzá, elle m’y rejoindrait assurément.
Ainsi avions-nous rendez-vous à Valladolid, magnifique ville coloniale à moins de deux heures de Cancún. L’auberge de jeunesse était dotée d’un grand jardin et donnait sur une place publique où les groupes de musique et de danse venaient répéter.
Je farfouillais dans mes bagages, la porte de ma chambre entrouverte, quand j’ai entendu parler français. Au téléphone, l’homme confiait sa solitude à son interlocuteur. Si l’occasion se présentait, plus tard, je me promettais de lui faire la conversation.
Mais voilà, mon amie est apparue à travers les feuillages du jardin. Pour célébrer les retrouvailles, nous avons pris le bus vers Ek Balam, un site archéologique maya au nord de la ville. Le pépin, c’est que pour rentrer, le bus ne semblait pas vouloir se pointer. Nous avons attendu et attendu, dans le stationnement, sans le moindre signe d’un transport en commun.
Le Français, seul à bord d’une voiture, est apparu pendant que nous jouions à cache-cache avec l’ennui. Dalia et moi avons pensé la même chose. Tentés de lui demander son aide, nous nous sommes retenus en constatant qu’il venait tout juste d’arriver et qu’il nous faudrait encore patienter avant qu’il soit prêt à partir.
Deux matins plus tard s’est présentée la première occasion de mélanger les accents français, québécois et mexicain. Valladolid constitue un arrêt logique sur la route vers Chichén Itzá, d’où plusieurs poursuivent vers Mérida. Les autres reviennent vers Cancún à la fin de la journée. Toujours est-il qu’il faut être prévoyant pour obtenir sa place dans un des bus qui roulent vers l’ouest parce que la demande est forte.
Au petit-déjeuner, un voyageur allemand a lancé la question : « Quels sont vos plans pour aujourd’hui? » Chichén Itzá, a répondu la France. Nous aussi, ont ajouté l’Allemagne et le Mexique. Comble du hasard, tous devaient passer la nuit à Mérida.
Christophe, seul à bord de sa bagnole louée, venait de se trouver trois compagnons de route prêts à diviser le coût du voyage.
Comme à la petite école, chacun a choisi son siège et a gardé sa place pour tout le trajet. Dalia avait hérité du fauteuil à l’avant. Quand nous nous immobilisions un contrôle routier, elle était la seule à bien savoir converser avec les gendarmes qui s’inquiétaient de la voir seule avec trois étrangers.
Les liens d’amitié se sont noués. Après la première nuit, nous avons tous déménagé au même hôtel. Le périple d’une journée s’est étiré. Ensemble, nous avons aussi visité Celestun. Puis Campeche. C’est là que le quatuor est devenu trio.
Enfin, parce que le plan initial prévoyait que je rentrais à Mexico avec mon amie, notre conducteur désigné nous a déposés à l’aéroport. Christophe aussi se rendrait dans la capitale. Mais il devait d’abord rapporter sa bagnole à Cancún.
Les adieux sont toujours déchirants. Entre Christophe et Dalia, pourtant, l’au revoir semblait moins singulier. Les yeux humides trahissaient plus que de l’amitié. Lui, comme au premier jour à Valladolid, retrouvait le poids de sa solitude.
En arrivant à Mexico, à sa mère venue nous accueillir, Dalia a lancé : « Il faut que j’apprenne le français. »
Comme prévu, Christophe s’est retrouvé à Mexico plusieurs jours plus tard. Il a retrouvé Dalia aussi. Ils se sont promis de garder le contact.
Faisant mentir les pronostics, ils ont fait les allers-retours entre le Mexique et la France plusieurs fois depuis trois ans. Aujourd’hui, sur une plage de Cancún, ils se diront officiellement oui. Comme au premier jour, à Valladolid, j’y serai un témoin privilégié.
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