C’est alors qu’il était directeur général du RSEQ Cantons-de-l’Est qu’Olivier Audet a, pour la première fois, entendu la mention des sports électroniques, ou « Esports ». D’ailleurs, le RSEQ, pas plus tard qu’en décembre dernier, confirmait tâter l’intérêt pour des compétitions interscolaires de sport électronique.
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En poste depuis août dernier au Mont-Sainte-Anne en tant que directeur général et directeur des sports, il a décidé de tester l’idée auprès de certains membres du personnel enseignant de l’institution privée réservée aux garçons.
« J’avais le mandat de trouver un projet qui pourrait allumer les jeunes. J’ai soumis l’idée au directeur pédagogique Sébastien Rodrigue et ça a cheminé. C’est surtout lorsqu’on a été en contact avec l’Académie Esports de Montréal que tout a déboulé. Ce fut un fit parfait pour nous », a dit M. Audet.
Un contact en décembre et une visite en janvier dernier ont fini d’abattre les réticences existantes, dit-il.
« Ils ont développé un modèle intéressant qui est présentement appliqué dans une école secondaire à Montréal. Les jeunes suivent leur cheminement régulier, en plus de leurs Esports. Tout est mis en place pour bien les encadrer. On a déjà un ou deux profs passionnés par le gaming qui sont intéressés par le projet. »
Ce nouveau programme prévoit 1800 heures sur cinq ans (360 heures par année), qui permet de concilier les études et les jeux vidéos.
« Bien sûr, il y a eu des questionnements institutionnels, mais on avait les réponses. Est-ce que ce genre de programme contribuerait à accentuer la dépendance aux écrans? À cela, je réponds que l’on veut en arriver à un équilibre. Un jeune qui va jouer à l’école, il y a de bonnes chances qu’il ait le goût de faire autre chose lorsqu’il arrivera à la maison. On croit qu’en l’inscrivant dans un domaine compétitif, il ne voudra pas jouer avec n’importe qui, rendu à la maison. »
« On veut combattre l’idée préconçue qu’un jeune qui fait du gaming, c’est obligatoirement dans son sous-sol. Nous, on va les installer au quatrième étage, ils seront tous ensemble, afin de favoriser la sociabilisation. On va se donner des façons de faire. Il va y avoir aussi des heures d’activités physiques. »
La passion d’abord
« Notre but, c’est de partir d’une passion de plusieurs jeunes, et de les amener vers l’équilibre. On va aussi travailler avec les parents afin de surveiller sérieusement les problèmes de dépendance. On aura une équipe spécialisée pour le suivi. L’école se doit d’être à jour et d’offrir un programme qui met une des passions des jeunes au cœur de celui-ci, on pense que c’est un bon départ. »
« On s’attendait à ce que les commentaires relativement à ce projet soient polarisés. Il y a d’abord ceux qui ne sont pas d’accord, mais les commentaires qu’on lit sur notre page Facebook sont très positifs et il y a même d’anciens étudiants qui déplorent que ce programme n’ait pas été mis de l’avant lors de leur passage! »
Oliver Audet confirme qu’il est trop tôt pour fixer un objectif précis pour la première cohorte d’étudiants.
« C’est un peu tôt pour ça. Chose certaine, on va limiter le nombre de places disponibles, du moins la première année, selon le nombre de machines que l’on aura. On va attendre de voir la réaction. Des tests de personnalité nous serviront pour la sélection des candidats et bâtir la première cohorte. »
« Les Esports ne sont pas de vrais sports »
Cathy Tétreault n’en démord pas; les Esports, ou sport électronique, ne sont pas des disciplines sportives au sens strict du terme et ne devraient pas être proposées comme telles.
Cathy Tétreault est une intervenante spécialisée dans le traitement de la prévention de la cyberdépendance et des jeux de hasard,
Conférencière depuis 2007, elle a fondé le Centre cyberaide (www.centrecyber-aide.com) en 2011, qui vise à prévenir chez les jeunes différentes problématiques liées aux nouvelles technologies.
Elle s’insurge de voir les Esports être considérés comme des disciplines sportives.
« Un sport, ça fait bouger le corps, c’est bon pour la santé mentale et psychologique. Il n’est pas question ici de bannir les écrans, mais plutôt d’encadrer leurs utilisations afin de diminuer les risques, répertoriés, liés à une utilisation abusive. C’est difficile de comprendre que des institutions scolaires puissent faire la promotion de ce genre de pratique. Leurs arguments sont très faibles », a-t-elle expliqué à La Tribune.
Cathy Tétreault est montée aux barricades en décembre dernier en décriant haut et fort l’intérêt du RSEQ pour l’établissement de compétitions de sport électronique interscolaires.
« Le milieu scolaire est d’abord et avant tout investi dans l’enseignement, la persévérance et la réussite scolaire, puis dans la santé physique et le bien-être de nos jeunes. Or, le sport électronique est certes amusant, mais ne s’inscrit dans aucun de ces objectifs. C’est pourquoi on lit avec étonnement que les valeurs qui sont véhiculées par le sport électronique sont les mêmes que véhicule le RSEQ », a-t-elle indiqué en décembre dernier dans une lettre ouverte, tout en remettant en question l’institutionnalisation de la présence des jeux vidéos dans les écoles.
« Les parents en général ont un grand manque d’informations et on se sert des choses qui font peur aux parents, comme la dépendance, pour les rassurer en disant que l’encadrement sera optimal dans ces nouveaux programmes. Parfois, je me demande s’il n’y a pas des compensations financières impliquées de la part des fabricants de jeux vidéos. »
Madame Tétreault croit plutôt qu’on devrait renforcer la sensibilisation, l’information et la compréhension des parents quant à l’usage des écrans afin de mieux encadrer ce phénomène qui est là pour rester.
« On doit d’abord et avant tout faire la promotion du vrai sport. Celui qui nécessite un entraînement, une dépense énergétique, une gestion des émotions, de la discipline et un travail en équipe. Ce sont des valeurs qui doivent être développés par les enfants, des valeurs essentielles à leur bon développement en tant qu’adulte. Le développement de bonnes aptitudes sociales, ça sera encore utile dans 100 ans. On ne doit pas vouloir façonner des robots. »
« Ces nouvelles technologies sont utiles, mais elles doivent être mieux utilisées. Le développement de la motricité fine, la dextérité, la santé, le développement cognitif et social, et de plein d’autres habiletés sont essentielles pour le futur, tu n’apprends pas ça en gamant ».
« Il y a une grande proportion de jeunes à risques de développer une dépendance. D’ailleurs, la cyberdépendance n’a été officiellement reconnue par l’Organisation mondiale de la santé qu’en juillet 2018. Les centres de lutte contre la dépendance n’ont pas encore d’outils à offrir sur le terrain. »
« J’ai deux cellulaires, une tablette et deux garçons qui aiment gamer. Je ne suis pas contre le jeu en ligne, mais ça doit rester à sa place. Leur utilisation n’est pas une récompense ou une punition. Les parents doivent reprendre le contrôle dans l’utilisation des écrans et les motiver à aller chercher de l’information à ce sujet. »