Pour les amateurs de photographie, la pluie offre des paysages tout gris ou des occasions incontournables de capturer des éclaboussures et des défilés de parapluies. Pour les moins habiles comme moi, c’est probablement l’occasion d’inonder un appareil photo qui rendra l’âme indubitablement avant la fin de l’ondée.
Ma stratégie revient généralement à garder les visites prévues à l’intérieur pour la fin de mon périple. Si le temps ne me permet pas de mettre le nez dehors, je pige dans la réserve de musées et d’autres expositions qui me faisaient envie. Si le crachin est faible, comme chacune des pluies qu’il m’a été donné d’expérimenter en Australie, je sors quand même sans hésitation.
En Asie du Sud, la saison des pluies, qui commence souvent avec le printemps, ne fait pas de cachettes. Ça le dit : il pleuvra. Ce qu’il y a de beau, c’est que les précipitations ne durent souvent que 30 minutes ou une heure. Réguliers comme une horloge, presque, les nuages ont même tendance à se présenter autour de la même heure, jour après jour.
C’était du moins le cas au Sri Lanka, où la saison des pluies sévissait surtout en région montagneuse, au début du mois d’avril. Pendant que le nord du petit pays fondait sous un soleil de plomb, le sud goûtait aux précipitations.
À Ella, ville montagneuse entourée de plantations de thé, le mot se passait que les nuages se liquéfiaient vers les 15 heures. Sauf que dans la région, à part quelques usines à thé, les occasions de se réfugier à l’intérieur ne sont pas légion, à moins de retourner à l’hôtel. Ella, c’est la nature et la contemplation.
Comme la plupart des touristes, pendant que le soleil brillait encore bien haut, je me suis dirigé vers le chemin de fer, véritable autoroute piétonne. Pour passer du point A au point B, à Ella, c’est probablement la route la plus courte. Loin des routes, en altitude, les points de vue sont magnifiques. La matinée est aussi le meilleur moment pour s’aventurer vers les hauteurs, pendant que l’horizon n’est pas obstrué par les cumulonimbus.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/WEKV42I3MBGMVNY32IFLGML2OA.jpg)
J’ai donc gravi Ella Rock et entrepris la route en sens inverse vers un pont ferroviaire à arches qui vaut absolument le détour. Je me suis mis en route à 14 h, sous un soleil un peu obscurci, en prenant le pari que je pourrais atteindre l’attraction suivante avant d’être trempé. On me disait d’ailleurs que le pont était précédé d’un tunnel où, à moins du passage annoncé d’un train, il serait possible de me réfugier.
Mais au Sri Lanka, quand la pluie commence à tomber, elle ne laisse que très peu de temps pour se mettre à l’abri. J’ai perdu mon pari. Le tunnel n’était toujours pas en vue au début de l’averse et je me suis réfugié sous un palmier.
Un homme qui travaillait à l’extérieur de sa petite maison, en bordure du chemin de fer, m’a fait signe de la main. Il m’invitait à m’abriter chez lui.
J’enlevais encore mes chaussures quand il a tiré une chaise de plastique qu’il a placée près de la porte en m’indiquant de m’asseoir. Sa fille de 14 ans était la seule à comprendre quelques mots d’anglais et agissait comme interprète.
Pendant qu’il l’envoyait à la cuisine chercher de quoi grignoter, il envoyait voler un décoratif pot de fleurs en plastique qui se trouvait sur la table du salon. Il posait ensuite ladite table devant moi en la dressant d’un plat de bananes et de deux assiettes de sucreries maison. Sa conjointe s’est pour sa part pointée avec une tasse de thé.
Ils m’ont alors indiqué que l’averse dure en moyenne une heure. Nous avons donc discuté par bribes d’anglais entre plusieurs longs silences. La petite maison était simple, avec des rideaux tenant lieu de portes et une bâche au plafond pour empêcher le toit de couler.
Au bout d’un moment, ils m’ont tendu leur album de famille, l’adolescente m’expliquant de temps en temps qui se trouvait sur les photos. Puis, elle est disparue dans sa chambre avant de revenir avec un grand cahier, en me demandant de lui laisser mon adresse postale. Sur un bout de papier, elle avait noté la leur.
Au bout d’une heure, presque pile-poil, le soleil est revenu. Avant de quitter la maison, j’ai tenu à prendre une photo de cette famille accueillante. Le père m’a alors fait signe d’attendre un moment, le temps qu’il enfile une chemise propre. Fierté, quand tu nous tiens.
En reprenant ma route sur le chemin de fer, je me suis dit que j’imprimerais la photo que nous venions de prendre et que je l’expédierais à cette gentille famille pour la remercier.
Mais une semaine plus tard, en feuilletant le livre dans lequel j’avais rangé l’adresse, je me suis rendu compte qu’elle ne s’y trouvait plus...
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.