Ce sont les paroles de Dan Bigras, tirées de sa chanson Sarajevo. Je l’ai entendu les réciter, au hasard d’une séance de zapping, et les images de la capitale de la Bosnie Herzégovine me sont revenues.
En 2014, cent ans après le début de la Première Guerre mondiale, Sarajevo célébrait sa première présence en Coupe du monde de soccer. Une trentaine de minutes après mon arrivée, alors que les rues se remplissaient de partisans fiers, on m’offrait de me joindre à un tour guidé, le lendemain. On y raconterait le siège de Sarajevo pendant la guerre de 1992-1995.
Ce matin-là, nous étions deux à nous être pointés. Je me souviens du guide, Jasenko Pasic, un acteur qui ne racontait pas son histoire de gaieté de cœur. Mais s’il ne le faisait pas, disait-il, on n’entendrait pas la version de ceux qui avaient vécu la guerre. La rencontre avec Jasenko demeure à ce jour une des plus marquantes de tous mes voyages. Il décrivait les tireurs d’élite, les grenades, les cicatrices qui marquent encore ses concitoyens, avec un réalisme à en faire frissonner.
Jasenko m’a permis d’être beaucoup plus qu’un touriste et de sentir vibrer le cœur de Sarajevo. Dès lors, les milliers de stèles blanches, dans les cimetières qui couvrent une bonne partie de la ville, prennent une tout autre signification.
En 2014, Jasenko m’avait montré dix minutes d’un documentaire sur lequel il travaillait. J’avais gardé sa carte de visite dans mon portefeuille depuis, avec la promesse de le visionner quand il serait disponible. Scream for me Sarajevo est finalement sorti en juin 2018.
Le documentaire m’a donné les mêmes frissons que ma visite de Sarajevo en 2014. On y raconte l’improbable concert donné par Bruce Dickinson, le chanteur d'Iron Maiden, dans une ville assiégée, en décembre 1994. Pendant une soirée, le peuple bosniaque retrouvait un brin d’humanité.
Dans ce film dirigé par Tarik Hodzic et produit par Adnan Cuhara, on montre d’abord les débuts de la guerre. Ceux qui rendaient d’abord les enfants heureux de manquer quelques jours d’école, alors qu’on ignorait vraiment ce qui s’en venait.
« Il y avait tellement d’obus que les oiseaux gisaient dans la rue », dit un homme.
« Tout prend son sens quand on est aussi proche de la mort », dit un autre.
Les images de la ville en feu sont difficiles à regarder. Celles des habitants qui essuient les balles des tireurs d’élite encore plus. La guerre n’a rien de beau. Scream for me Sarajevo ne le cache pas.
Le concert de Bruce Dickinson paraît alors bien anecdotique alors que des familles sont forcées d’allumer des feux sur leur balcon pour cuire leur repas. C’est pourtant une histoire d’exception qui mérite d’être racontée.
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Déjà, l’art avait émergé comme un moyen de résistance, comme une façon d’éviter de succomber à la folie. Malgré le danger, on produisait des pièces de théâtre pour donner l’impression que la vie continuait normalement.
Puis, une blague d’un officier des Nations Unies, Martin Morris, fait boule de neige. « Si on faisait venir un groupe à Sarajevo? »
Les musiciens se souviennent d’avoir accepté le contrat sans réellement savoir ce qui les attendait. Quand on a annulé les hélicoptères qui devaient transporter le groupe de Split jusqu’à Sarajevo, le chanteur Bruce Dickinson a décidé qu’il traverserait la ligne de front en camion.
Il faut entendre les musiciens raconter leur périple pour saisir les dangers de l’entreprise. Il faut les entendre raconter la guerre qu’ils ont vue avec les yeux d’étrangers qui, malgré les bulletins de nouvelles décrivant Sarajevo, n’auraient jamais pris la pleine mesure du drame qui se jouait.
L’événement étant jugé à haut risque, il n’a été officiellement annoncé que quelques heures avant la prestation. La salle était bondée.
« Quand Bruce Dickinson a commencé à jouer, c’était une autre planète », dit un homme témoignant dans le documentaire. « Pendant quelques heures, il n’y avait pas de guerre. »
Éclairé d’un seul projecteur, l'artiste a offert un peu d’espoir à un peuple déchiré. En revoyant les images, une vingtaine d’années plus tard, un des intervenants n’arrive pas à retenir ses larmes.
Il y a quatre ans, Jasenko Pasic m’avait conduit dans la montagne pour me montrer la vue sur la Ville. Pour me montrer comment il était facile de tenir un siège sur une ville construite au creux des montagnes. Pour me montrer les premières images du documentaire sur lequel il planchait.
J’avais retenu mes larmes. Les frissons ne m’avaient pas quitté pour plusieurs heures.
Dans Scream for me Sarajevo, j’ai revu le cimetière juif où nous nous étions aussi arrêtés. La ligne de front, c’était là. Les mêmes frissons me sont revenus.
Pour comprendre ou découvrir une partie de la guerre de Bosnie, ce documentaire, disponible notamment sur iTunes, constitue un puissant outil.
Je n’oublierai jamais Sarajevo. Je n’oublierai jamais Jasenko. Et je continuerai de les raconter chaque fois que j’en aurai l’occasion.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.