J’ai souri dans ma tête quand Gesper Myrtil, pépiniériste à Fond Jean-Noël, une commune de Marigot, en Haïti, a affirmé solennellement que là, ça ne se dit pas qu’on n’aime pas le café. Pas au cœur de la plantation dont il prend soin avec un amour débordant. Je n’avais rien dit de toute façon. Et heureusement, parce qu’entre vous et moi, même pour ceux qui ne s’émoustillent pas au contact des effluves caféinées, il est franchement délicieux le café de Fond Jean-Noël. Délicieux, rien de moins.
Elle a non seulement bon goût, cette boisson chaude, mais elle est aussi fascinante quand on s’attarde le long de la Route du café, route solidaire inaugurée en 2014 en collaboration avec Vue sur mer et le RENAPROTS (Réseau national de promoteurs du tourisme solidaire). On y rencontre des encyclopédies vivantes comme Gesper, on peut goûter une noix de coco fraîche, voir un jeune villageois randonner avec son cochon ou des enfants s’amusant d’une simple roue qu’ils font tourner avec un bâton.
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C’est un peu ça, au surplus de l’or gustatif que renferment les grains de café, qui séduit à Fond Jean-Noël. Parce que c’est toute une communauté qui se réapproprie l’art de faire pousser le café. Et qu’en y acceptant l’achat d’une plantule, ou d’un sac de café, on contribue directement à l’avancement de tout un village.
Le café haïtien, là, est une richesse qu’on s’affaire encore à développer. Ou à redévelopper, devrait-on dire. Sa culture vise à contrer l’érosion des sols, mais aussi à retenir les jeunes qui, une fois qu’ils ont quitté la commune pour étudier, ne reviennent pas.
Pourtant, le café a déjà fait la pluie et le beau temps de l’économie haïtienne. Les intempéries, particulièrement les cyclones, mais aussi les maladies et les insectes, ont pratiquement fait disparaître le café.
Aujourd’hui, les visiteurs cheminent de la pépinière au cœur de la commune de Fond Jean-Noël pour voir les efforts pour relancer ce type de culture. Ils visitent aussi une famille paysanne et un petit musée du café. Jean-Rony Joseph, guide sur le circuit, vantera humblement les grains cultivés chez lui, à 800 mètres d’altitude. « Le café n’a pas le même goût quand il est cultivé près de la mer. Son goût est meilleur en montagne. »
Le pépiniériste Gesper Myrtil explique qu’il faut six mois pour que la plantule soit prête à être plantée au champ. En attendant, on la protège du soleil et de la pluie, notamment grâce à des bananiers, qui constituent des abris provisoires. Et pas question d’opter pour des fertilisants chimiques.
En route à travers la plantation, on traverse le chemin Joli, bordé d’hibiscus. On a l’impression de comprendre d’où il tire son nom simplement en déambulant au milieu de la nature haïtienne. Pourtant, ce coin de la commune où vivent environ 35 familles était autrefois couvert de plans de café. On y entrait comme dans un tunnel parce que les plants dont les cimes se rejoignaient couvraient complètement le ciel. On raconte qu’il fallait même une lampe de poche pour y circuler.
Aujourd’hui, en levant les yeux, le bleu du ciel a refait une percée évidente. On cherche encore à replanter du café sur les différentes propriétés. « On espère que ça redeviendra comme dans le passé avec des plants de trois, quatre, cinq mètres. Chaque famille s’occupe des plantules et sépare les profits avec l’Association des planteurs de café de Fond Jean-Noël », explique Jean-Rony Joseph.
On prévoit créer trois emplois par hectare si la culture du café gagne en vigueur, une façon de revaloriser le travail paysan. Mais il reste encore à monter le réseau de distribution pour les grains que produit Fond Jean-Noël.
Presque au bout de la route, on accepte l’invitation d’une famille qui grille le café avant de le piler. Dans l’embrasure de la porte couverte d’un simple rideau, deux bouilles d’une dizaine d’années observent curieusement les étrangers en riant. Trop gênés, ils resteront à l’intérieur pendant tout le processus.
De l’autre côté de la cour, au-dessus du mur d’enceinte, où passe la route, une poignée de villageois s’amusent de voir les visiteurs qui s’apprêtent à goûter leur café. Au pilon, on invite les touristes à suivre le rythme donné par Gesper Myrtil, qui chante joyeusement. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, Gesper transforme une activité routinière en célébration. Et on sourit avec lui.
Il est bon, très bon, le café qu’on nous sert dans cette petite cour bien intime. Et on reprend la route avec l’impression d’avoir compris un peu plus la réalité de cette petite communauté de 27 000 âmes.
On rentre lentement avec la possibilité d’acheter une plantule qui contribuera peut-être à la relance de l’industrie du café en Haïti.
Pour le contact direct avec la communauté et pour l’inoubliable joie de vivre de Gesper Myrtil, la Route du café de Fond Jean-Noël constitue pratiquement un incontournable pour tout voyage dans le sud d’Haïti.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.
Le journaliste était l’invité du RENAPROTS, Zoom sur Haïti, Passion Terre et Air Canada.