J’ai mis trois grosses minutes avant de maudire tous ces groupes organisés, ces autobus de touristes qui affluent comme des raz-de-marée sans se soucier des autres visiteurs autour d’eux. Dans une succession sans fin, les guides tenant un parapluie pour être repérés de loin se faufilent à travers la foule et se plantent devant les panneaux d’interprétation pour raconter l’histoire du site. Quand l’un part, ses pèlerins à sa suite, un autre prend aussitôt le même coin pour entasser la horde qui fait mine de l’écouter.
Bonne chance à tous ceux qui, comme moi, espéraient lire les panneaux d’interprétation ensevelis sous des dizaines d’étrangers qui n’y portent même pas la moindre attention. Ils sont aussi couverts par la voix du guide, qui raconte haut et fort des anecdotes dans une langue qu’on ne comprend pas toujours.
Bref, le mythe du roi Minos et du labyrinthe dans lequel il a enfermé le Minotaure devient bien secondaire sous le chaud soleil de la Grèce devant le poids écrasant des foules.
Je me suis posé un instant, là où les groupes ne s’aventuraient pas, pour regarder le ballet synchronisé de ces visiteurs. Ils allongeaient sans cesse la file d’attente pour accéder à la salle du trône, que je n’ai pas osé visiter. Ils s’éparpillaient à la hâte pour collectionner les photos dans les quelques minutes de temps libre que leur guide leur laissait pour explorer à leur guise. Et tous suivaient la même route, non pas pour observer, s’interroger ou contempler, mais pour avancer vers le site suivant.
J’aime pourtant les tours guidés gratuits qu’on trouve dans plusieurs villes européennes, asiatiques ou sud-américaines. Ces groupes, souvent limités en nombre, ont l’avantage de n’engorger que les coins de rue dans une quête pour comprendre les grandes lignes historiques d’une ville. Souvent, on nous invite à ne pas obstruer le passage, on nous conduit à l’écart pour éviter les dérangements. Comme quoi ce ne sont pas les groupes qui créent le problème, mais la mauvaise gestion des foules.
La surabondance de touristes, c’est aussi ce qui m’a déplu à Prague, une ville tellement jolie, mais envahie d’étrangers. Idem pour Dubrovnik, en Croatie, où la vieille ville s’est vidée en soirée, après le départ des bateaux de croisière. Ou à Kotor, au Monténégro, qui vit exactement la même situation.
Cet été, à mon retour à Athènes, j’avais l’impression de déambuler dans un grand centre commercial en arpentant les rues de Monastiraki et de Plaka. Les menus hyper-illustrés des restaurants trop chers déclinaient les plats disponibles en cinq ou six langues. Des burgers, de la pizza, n’ayez crainte, vous vous sentirez comme à la maison.
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Dans le même sens, les lieux ultra-achalandés voient maintenant proliférer les « mannequins » amateurs. Aux Météores, dans le nord de la Grèce, les jeunes filles attendaient leur tour pour monter sur un rocher et prendre des portraits sur lesquels elles adoptaient des poses suggestives. Pareil à La Canée, devant la baie, où il ne fallait pas avoir le malheur de s’aventurer dans le cliché instagramable d’une dame qui posait avec une main sur la hanche, et l’autre dans sa chevelure battant au vent. Au Parthénon, tout le monde faisait dos au vieux bâtiment de manière à capturer un égoportrait.
Le superficiel m’a un tantinet dégoûté. Mais voilà, vous trouverez quand même un résumé de mes vacances dans Instagram. Ironie quand tu nous tiens. Se plaindre de l’abondance du tourisme dans les villes où on est soi-même touriste relève de l’ironie. Ce qui ne devrait pas nous empêcher de réfléchir à une façon d’améliorer la situation.
Peut-être faut-il apprendre à doser et à entrevoir le tourisme différemment. Dans les dernières années, les articles se sont multipliés pour dénoncer les effets négatifs de l’industrie touristique sur certaines grandes villes. Venise et Barcelone, entre autres, vivent des flambées des prix des logements, trop souvent réservés pour AirBnB. La même crainte a été soulevée à Tokyo, au Japon, à l’approche des Jeux olympiques d’été en 2020.
L’Islande connaît un achalandage monstre, si bien que des passerelles balisées apparaissent dans les sites naturels pour contenir les touristes. À Knossos, que j’évoquais, le nombre de visiteurs recensés pour le seul mois de mai s’élevait à 95 000 alors qu’il était de 68 000 l’année précédente selon le Greek Reporter.
L’Obs s’interrogeait au début du mois d’août à savoir « Instagram a-t-il tué les vacances? » On y cite entre autres une étude menée par le site de réservation en ligne Booking selon laquelle 32 % des voyageurs adorent séjourner dans des établissements instagramables. Misère! La chasse aux « j’aime » dicte désormais la qualité du sommeil.
Matthew Karsten, du site « Expert Vagabond », dresse d’ailleurs un portrait fouillé de la situation, statistiques à l’appui, en se demandant si Instagram et les médias sociaux détruisent le voyage.
J’encourage bien sûr tout le monde à voyager, à s’ouvrir les esprits. Ce qui me dérange, c’est d’avoir l’impression de visiter des villes et villages conçus de toute pièce pour plaire aux touristes plutôt que d’être confronté aux différences et aux beautés des cultures qui devraient être différentes de la mienne.
Certains sites touristiques, comme le Taj Mahal, interdisent les trépieds. D’autres ont défendu l’usage de perches à égoportrait (selfie sticks). Je me demande si on ne retrouverait pas un peu de civilité à interdire aussi l’usage des appareils photo ou des téléphones intelligents dans certains de ces endroits.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.