Chronique|

Le ramadan un jour de sabbat

Le vendredi soir, pour célébrer le début sabbat, des centaines de personnes affluent au mur des Lamentations, 
à Jérusalem.

CHRONIQUE / Le train n’entrait pas en gare à l’aéroport Ben-Gourion. Les bus ne transportaient pas les touristes vers Tel-Aviv non plus. Samedi matin, un peu avant le dîner, mon avion s’était posé en Israël. Samedi, jour du sabbat.


Le sabbat, dans le judaïsme, constitue la journée du repos. Il s’amorce le vendredi soir et prend fin en début de soirée le samedi. Pendant cette période, les juifs pratiquants s’abstiendront de travailler, d’utiliser un véhicule motorisé, d’allumer ou éteindre un feu ou de cuisiner. Arriver dans le pays le jour du sabbat signifie donc qu’il faut se tourner vers les taxis ou la location de voiture pour s’éloigner de l’aéroport.

Selon la ville qu’on visite, peu ou très peu de restaurants ouvriront le vendredi soir. Idem pour les magasins le lendemain. Mais il y a fort à parier que les touristes réussiront à trouver de quoi se mettre sous la dent. Plusieurs attractions sont aussi fermées dans la journée du samedi.

J’ai commencé à prendre conscience de la nécessité de m’organiser pour composer avec le sabbat environ une semaine avant le départ. J’ai par contre réalisé que j’arriverais en Israël aussi pendant le ramadan alors que j’avais déjà deux ou trois falafels derrière la cravate. Ça expliquait les activités au ralenti, en journée, dans les quartiers musulmans.

La table était donc mise pour un vendredi bien plus que particulier à Jérusalem, où il faut absolument, semble-t-il, expérimenter le sabbat.
Un bon vendredi, peinard, j’ai échafaudé un plan au fur et à mesure que je me tirais du sommeil. Je me fondrais à la foule en préparation du sabbat avant de traverser la vieille ville vers le mont des Oliviers, ponctué de lieux religieux, d’un immense cimetière, et d’une vue imprenable sur la vieille ville.

Le crochet initial m’a fait passer par Mea She’arim, le plus vieux quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Avec leurs habits noirs et leur chapeau noir, ou dans quelques cas, leur schtreimel, un chapeau de fourrure, les hommes déambulent à la recherche de provisions avant le début du sabbat. Les marchés sont bondés de même que les pâtisseries.

À l’approche de la vieille ville, la rue du Sultan Suleiman, près de la porte de Damascus, avait été bloquée. Des autobus y étaient entassés comme des petits pois dans une boîte de conserve. Tous vides. À première vue, j’ai cru que c’était pour le sabbat, puisque plusieurs routes sont effectivement fermées du vendredi au samedi.

En traversant la porte de Damascus, qui perce les fortifications de la vieille ville, j’ai entendu l’appel à la prière. Des hommes couraient pour semer le retard qui les empêchait encore de se recueillir. Sans ce retard à mes trousses, j’ai arpenté les rues étroites en mode contemplation, surtout qu’elles étaient étonnamment calmes si ce n’était la présence de dizaines de policiers aux coins des rues.

Erreur.

Ces autobus qui formaient un train immobile avaient déversé un flot de dizaines de milliers de pèlerins dans l’enceinte de la vieille ville. Pour midi, ils s’étaient dirigés à la mosquée al-Aqsa du mont du Temple, où se trouve aussi le dôme du Rocher, un des sites les plus photographiés au monde, mais surtout, un des sites les plus importants de l’islam. La prière terminée, tous se sont élancés vers les sorties de l’enceinte dans un mouvement de foule aussi fort qu’une marée.

Ils étaient probablement près de 100 000 à quitter en même temps la mosquée al-Aqsa de Jérusalem après la prière du vendredi midi.

Je les ai vus s’agglutiner à la porte du Lion, où j’avais l’intention de sortir. Mauvaise idée. Ça ne passait plus. Une documentariste qui captait la scène racontait qu’ils étaient probablement plus de 100 000 ce jour-là à s’être déplacés pour la prière du midi. Sous la chaleur accablante, la horde de croyants poussait pour faire son chemin. Des âmes charitables arrosaient la masse grouillante pour éviter les coups de chaleur.

Ma recherche d’une route alternative n’aura pas été fructueuse. On ne s’engage pas à contresens quand 100 000 personnes quittent un quartier en même temps. Les policiers me l’ont fait comprendre. La densité de la foule aussi. Entre deux corridors de circulation, je me suis posé et j’ai attendu une bonne heure que le calme revienne.

Tout un privilège d’observer cette importante tradition. La semaine suivante, les médias rapportaient qu’ils étaient 200 000 dans le vieux Jérusalem pour le dernier vendredi du ramadan.

La journée magique s’est poursuivie juste avant le coucher du soleil, dans une vieille ville encore relativement désaffectée, alors que les magasins et les restaurants étaient pratiquement tous placardés.

Les familles juives et les groupes de jeunes touristes en pèlerinage avaient revêtu leurs plus beaux atours pour célébrer l’arrivée du sabbat au mur des Lamentations. Dans les rues de la vieille ville, ils chantaient, dansaient, en attendant d’atteindre ce lieu sacré. « Sha, sha, shabbat, shalom », entonnaient-ils, tantôt en solo, tantôt en réponse à un ami qui les invitait à chanter à leur tour.

Au mur lui-même, les espaces de prières étaient bondés. D’un côté, un jeune garçon semblait vivre sa bar mitzva. De l’autre, des adolescents formaient un cercle et tournaient en entonnant des chants joyeux. D’autres priaient dans un moment d’intense concentration.

Une femme abordait par ailleurs les touristes pour leur expliquer les fondements du judaïsme en les incitant à s’informer davantage sur internet.

Quand le soleil s’est finalement caché, faisant reluire l’or du dôme du Rocher, s’achevait la journée la plus mémorable d’un périple en Israël et en Palestine.

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