Chronique|

Les détonations du Golan

À l’intérieur de l’ancien bunker israélien, on aperçoit la nature du territoire occupé par Israël sur notre gauche. À droite, au loin, se situe la frontière de la Syrie.

CHRONIQUE / «Vous êtes certaine qu’il n’y a pas de problème à ce que je conduise vers le nord », que j’ai demandé à Riki, la sympathique propriétaire du Safed Inn, un hôtel/bed and breakfast de la petite ville de Safed, aussi appelée Zafed ou Tsfat, dans le nord-est d’Israël.


« Nous écouterons la radio demain matin, mais il n’y a pas eu d’alerte depuis deux semaines », qu’elle me répond.

Rassurant!

C’était en mai. Un peu moins de deux semaines après les dernières alertes au tir de roquette sur le Golan. Plus tôt dans le mois, on annonçait des échanges de tir entre l’Iran, depuis le nord de la Syrie, et la partie du Golan occupée par Israël. On évoquait donc des dangers pour les voyageurs, surtout à l’est de la route 98.

On décrit pourtant le Golan comme le paradis des randonneurs. On y trouve des montagnes magnifiques qu’on recommande d’explorer prudemment. « Si tu vois un signe qui dit danger, c’est parce qu’il y a vraiment un danger. Il y a encore des mines antipersonnel un peu partout », prévient Riki.

Voilà qui me rassurait encore davantage. Mais elle m’avait proposé un beau parcours, avec des arrêts au mont Bental, à la forteresse de Nimrod et dans la réserve de Banias. J’ai donc fait confiance à l’absence d’avertissement radiophonique et je me suis mis en route avec ma minuscule voiture de location.

La route pour descendre la montagne où s’est perché le Safed Inn serpente le flanc de la protubérance et offre des vues magnifiques pour les yeux seulement. Pas moyen d’arrêter où que ce soit pour une photo, ou même pour fixer l’horizon plus que trois secondes. Comme conducteur, on s’ancre les yeux à la route qui rétrécit de mètre en mètre. Elle rend périlleuse toute rencontre avec un véhicule circulant dans la direction inverse.

Même si les distances paraissent énormes sur les cartes, on atteint le mont Bental en moins d’une heure. Plus on approche, moins le trafic est dense. Au détour d’une courbe, des hommes casqués portant d’importants équipements de protection s’affairent à déminer une parcelle de terre. On est loin des plages festives de Tel-Aviv.

D’énormes camions blancs arborant les lettres UN (United Nations) en majuscules roulaient vers l’ouest. Les champs, en apparence paisibles, étaient ponctués çà et là de maisons de pierres abandonnées, parfois avec le toit éventré. Moi, je roulais vers l’est.

Sur le coup, je me suis demandé si je m’aventurais réellement en zone de conflit militaire. Si l’activité est réduite dans le secteur, on peut supposer un hasard pour expliquer l’ambiance tendue que je pouvais palper entre mes poings serrés et le volant de ma Renault Clio.

J’ai suivi les indications et j’ai amorcé en voiture l’ascension du mont Bental, qui s’élève à 1165 mètres d’altitude. Au bas de la côte, on annonce la présence du « Coffee Anan », un clin d’œil à l’ex-secrétaire général des Nations unies.

Dans le stationnement, les autobus de touristes remettent les choses en perspective. On ne laisserait pas les visiteurs débarquer en hordes si on pressentait un danger imminent.

Une courte marche nous amène au sommet de la montagne, où des panneaux indiquent les distances avec les principales villes. Ironiquement, Damascus et Washington DC sont situés l’un au-dessous de l’autre.

De vieux bunkers laissés à l’abandon peuvent toujours y être visités. On y descend dans une noirceur relative, on arpente des couloirs étroits avant d’aboutir dans une pièce où une ouverture horizontale permet d’observer l’horizon. Sur ma droite, au loin, j’aperçois de la fumée qui semble se dégager d’une grappe de maisons. Là, c’est la Syrie. Sur ma gauche, des montagnes et des plaines verdoyantes : Israël.

Puis une détonation. Et une autre. Dans le silence du bunker, loin des touristes qui rivalisent d’égoportraits quelques mètres au-dessus de ma tête, j’encaisse. J’ai entendu au moins quatre détonations. Évidemment qu’il est difficile de les associer à une action en particulier. La proximité avec la Syrie me laissait toutefois songeur.

Qu’il s’agisse ou non de frappes dans le pays voisin, je prenais un peu plus la mesure de la réalité syrienne. Pas comme dans comprendre ce que vit la population de ce pays, mais plutôt comme réaliser que le conflit dure toujours. C’est un contact, aussi minime soit-il, avec la guerre, la vraie, qui ne se déroule pas que sur un écran 56 pouces au bulletin de nouvelles.

Je suis remonté à la surface, un peu ébranlé, et j’ai aperçu des groupes de jeunes en train de planifier bruyamment leur prochain égoportrait collectif. Ils sont presque arrivés à couvrir la dernière détonation que j’ai perçue, qu’ils n’ont même pas entendue.

Avant de partir, j’ai pris quelques minutes pour discuter avec les deux observateurs des Nations unies postés au sommet du mont Bental. Dans leur petit observatoire, sans arme, ils scrutent l’horizon pour faire rapport des événements qui surviennent dans la journée. Particulièrement calmes, ils ont dissipé tous les doutes sur le danger qui guette les touristes aventuriers.

Des observateurs des Nations unies sont postés au sommet du mont Bental pour faire état de la situation dans le Golan et à la frontière de la Syrie.

J’ai ensuite repris la route, la 98, pour grimper au nord vers la forteresse de Nimrod. Je n’ai plus entendu de détonation. Les routes, elles, demeuraient plutôt désertes.

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