D’où vient votre intérêt pour le saké?
Comme tous les sommeliers, j’aime beaucoup manger et boire, goûter de nouvelles choses. Cet appétit pour la découverte gustative me vient de mon enfance, de la cuisine de ma mère, très savoureuse. J’ai grandi au Japon, que j’ai quitté à l’âge de 24 ans. Le saké fait partie de la culture, là-bas. Il s’inscrit dans le quotidien très typique de mon pays d’origine. J’ai vécu en France, au Sénégal et au Maroc avant de m’installer à Montréal, il y a 14 ans. Vivre dans ces différents pays m’a beaucoup inspirée, mais ça m’a aussi permis de redécouvrir ma propre culture. J’aimais beaucoup l’univers du vin, et comme le saké est une boisson très particulière, j’ai eu envie d’en apprendre davantage. Après avoir étudié la gastronomie japonaise, j’ai suivi la formation offerte par le Saké Service Institut International de Tokyo, où j’ai obtenu mon diplôme de sommelière.
Qu’est-ce qui fait la particularité du saké?
C’est une boisson très agréable à déguster, par laquelle on peut découvrir une autre culture. Pour la fabriquer, on utilise une eau pure et du riz, auxquels on ajoute des micro-organismes et des levures pour activer la fermentation. Chaque brasseur a sa méthode, sa recette. Et chaque saké ensuite obtenu a sa palette de saveurs. Les différences sont un peu plus subtiles qu’avec le vin, bien sûr, mais il y a des distinctions entre chaque bouteille parce que la variété de riz utilisée teinte le goût de l’alcool. Par exemple, le riz le plus connu, le yamadanishiki, va donner un saké au parfum plus fruité, tandis que le riz gohyakumangoku permettra, lui, d’obtenir un saké au goût très rafraîchissant.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/SLWOH7FQFRDFTERG22Q666LRVQ.jpg)
Y a-t-il une façon de le servir?
La température à laquelle on le déguste est importante. Chaque saké a sa température préférée, pourrait-on dire, et celle-ci varie entre cinq et cinquante degrés. Par exemple, le saké junmai utilise un riz pur et sera à son meilleur servi bien chaud, à plus ou moins 45 degrés. Le saké daginjo, au goût très raffiné et sophistiqué, est fait à partir d’un riz qu’on a poli à 50 pour cent. Il gagnera à être dégusté frais, à une température qui tourne autour de cinq à dix degrés.
Y a-t-il au Japon des rituels entourant la dégustation de saké?
C’est une boisson qui accompagne les occasions spéciales, les moments où on s’arrête. On ouvrira par exemple un bon saké pour contempler la pleine lune. Lorsque les cerisiers sont en fleurs, en mai, ça ne dure pas très longtemps. Trois ou quatre jours, pas plus. Pour goûter à cet instant éphémère, les Japonais vont déguster un verre de saké sous les arbres, en prenant le temps d’admirer la nature, en appréciant la beauté des branches chargées de fleurs.
Existe-t-il des cocktails à base de saké?
C’est plus rare. Il existe des sakés faits en usine qui sont moins chers, mais dont le goût est aussi moins intéressant. Ceux-là peuvent parfois renaître joliment sous la forme d’un cocktail, lorsque d’autres boissons sont ajoutées.
Le saké s’agence bien avec les sushis, mais peut-on le déguster avec d’autres mets?
Absolument. Il s’accorde même avec des plats occidentaux. J’ai déjà proposé un atelier où je mariais différents sakés à des fromages québécois. Les gens étaient d’abord étonnés, mais ensuite ravis de découvrir que c’était une association qui fonctionnait bien. Un saké fort ira très bien avec des plats plus lourds, des viandes, de l’agneau. Un saké plus fruité pourra être servi à l’apéro ou en accompagnement de mets plus légers comme des sushis, un carpaccio, un gravlax, un ceviche ou des huitres. Enfin, un saké trouble nigori, qui a été filtré dans une toile plus grossière, aura un goût plus intense. Il sera parfait au dessert ou avec des fromages.
Comment bien goûter le saké?
Comme on le fait pour le vin. On regarde d’abord la couleur et la transparence de la boisson. On utilise ensuite son nez pour humer les arômes. Et enfin, on goûte et on décrypte les parfums.
Avez-vous une bonne bouteille à suggérer?
Le saké nigori est un peu plus sucré que d’autres, c’est une belle porte d’entrée. La maison Gekkeikan est réputée et elle en produit un excellent, qui se trouve assez aisément au Québec.
Est-ce que la fabrication de saké est une histoire de famille?
Traditionnellement oui, la fabrication du saké était un art qui se transmettait d’une génération à l’autre. Chaque brasseur avait ses secrets, et ceux-ci restaient dans la famille. La tendance actuelle, toutefois, est davantage marquée par la collaboration. Plusieurs brasseurs se rassemblent et partagent leur savoir pour obtenir le meilleur saké possible. Les jeunes propriétaires sont plus ouverts qu’avant à échanger leurs connaissances.
Vous avez aussi étudié la gastronomie. Qu’est-ce qui caractérise la cuisine japonaise?
La recherche d’harmonie. S’il y a un trait commun entre toutes les cuisines qu’on trouve au Japon, c’est celui-là. Harmonie des saveurs, harmonie dans l’assiette, harmonie autour de la table. La cuisine japonaise est raffinée, délicate. Les sushis, par exemple, sont confectionnés avec grande finesse. C’est tout un art. De façon plus générale, les ingrédients employés dans la cuisine japonaise varient, mais le riz est un indispensable. On trouve des rizières partout au Japon. La sauce soya (shoyu) et le yuzu sont très utilisés, de même que les fruits de mer et les poissons frais, étant donné que l’île est entourée de quatre mers.
Qu’est-ce qui vous manque du Japon?
La famille, bien sûr. Le saké, aussi. En SAQ, on en trouve ici une quarantaine de sortes, ce qui est une belle variété, mais au Japon, il y en a 20 000. Les onsens me manquent également. Ce sont des sources thermales, une sorte de spa japonais où on peut aller se ressourcer. Je retourne au Japon de temps à autre pour voir mes parents, mais partager mes connaissances, faire découvrir la culture japonaise aux Québécois, c’est aussi une façon de rester en contact avec ma culture, de m’en imprégner.