Le soleil avait amorcé sa descente vers son lit, à l’horizon de Nazareth, en Israël. En plein ramadan, l’iftar approchait. L’appel à la prière enveloppait toute la vieille ville illuminée de blanc. Du balcon de l’auberge Fauzi Azar Inn, la plus vieille du quartier, j’admirais seul la vue apaisante quand les détonations ont résonné.
Quand la poussière s’est transformée en fumée, j’ai avalé les marches pour descendre dans la cour intérieure. Une alarme tonitruante a sonné.
Il suffit de s’informer un peu sur Israël, avant le départ, pour qu’on nous prévienne des risques de roquettes. Lancées de Gaza, du Liban ou de la Syrie, elles déclenchent une alarme qui ne laisse que quelques secondes pour courir aux abris. Juste au cas.
Veut, veut pas, on y pense. Sauf que Nazareth, au nord, ne semble pas se trouver dans une zone précaire. Et l’alarme s’était déclenchée après la détonation. La paranoïa avait duré quelques secondes seulement. Du coup, c’était la fumée que j’avalais, partout dans la cour intérieure.
Nous avons rapidement fermé les portes des chambres et nous sommes sortis pour voir ce qui se tramait. Le bâtiment voisin flambait. Il flambait fort.
La boucane qui émanait de ses fenêtres brisées, à l’étage, se trouvait enclavée dans les couloirs étroits de la vieille ville. Ces passages d’une largeur de cinq mètres tout au plus, se transformaient en nuages de plus en plus opaques. Les portes extérieures de l’immeuble en vieille pierre étaient verrouillées par des cadenas. Nous ne pouvions que présumer que personne ne se trouvait à l’intérieur.
Une vieille ville comme celle de Nazareth, ce sont des maisons et des commerces entassés les uns sur les autres comme des boîtes d’allumettes. Les rues, des passages enchevêtrés les uns à travers les autres, sont des labyrinthes parsemés d’escaliers. On n’y circule qu’à pied.
C’est donc à pied que sont arrivés les premiers pompiers, sans tuyau d’arrosage. Plus bas, leur camion avait été stationné au bout de la rue la plus proche. Avec une voiturette de golf, les pompiers s’approchaient deux ou trois à la fois. Tôt ou tard, ils parviendraient à hisser des tuyaux jusque-là.
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Entre-temps, l’un d’entre eux a fait irruption dans l’auberge. « Vous venez d’où? Vous comprenez l’hébreu? » Il nous a incités à partir, en anglais, en laissant toutes nos choses derrière.
« Il y a un feu énorme. Et ce n’est pas beau. Il faut partir. Revenez dans une heure. »
Il était optimiste, le monsieur.
En fuyant les flammes, les clients de l’auberge ont appris à se connaître. Plusieurs ont décidé d’en profiter pour casser la croûte, en joignant l’utile à l’agréable, ne sachant toutefois pas si nous dormirions sous le toit du Fauzi Azar Inn ce soir-là.
En revenant plus tard vers notre lieu d’hébergement, nous avons été informés que le feu faisait toujours rage. Les évacués pouvaient patienter dans une salle communautaire où se trouvaient des jeux de soccer sur table ou de ping-pong. Les adolescents locaux se sont fait un plaisir d’accueillir les étrangers qui accepteraient de s’amuser avec eux.
Au bout d’une autre heure, nous avons pu regagner nos quartiers, même si certains clients ont dû être déplacés vers un autre hôtel par mesure de précaution.
Le lendemain matin, les restants calcinés de centaines d’objets gisaient noircis dans les décombres. La structure de pierre, elle, tenait le coup. Les pompiers ont conclu à un geste volontaire : incendie criminel. Selon leurs renseignements, le site servait principalement d’entrepôt. Personne n’y vivait. En placardant les portes et les fenêtres, rien n’y paraîtrait. Quand les détonations se sont fait entendre, que j’ai vu la poussière s’élever, le feu faisait probablement rage depuis un bon moment déjà.
La propriétaire du Fauzi Azar Inn a relevé l’ironie du moment, elle qui gère une auberge dans la maison familiale léguée par ses parents et ses grands-parents. Le grand-père, qui souhaitait justement la sauvegarde de son patrimoine pour ses descendants, avait péri en voulant protéger la maison d’un incendie. C’est parce qu’il a laissé sa vie pour éteindre un feu que Fauzi Azar Inn, qui porte son nom, se tient encore au cœur de la vieille ville de Nazareth.
La grande résidence, avec ses planchers de marbre, ses fresques au plafond, a plus de 200 ans. Elle est devenue la première auberge de la vieille ville, qui était délaissée par les touristes et abandonnée aux vendeurs de drogue. Aujourd’hui, elle remporte des prix auprès de plusieurs sites de réservation d’hôtel. Début juin, elle a échappé de justesse à un nouvel incendie.
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