« On nomme Argyll dans ce rapport, mais c’est dans l’ensemble des CHSLD du Québec que l’on vit présentement des problèmes importants. Décider qui on lave, qui on ne lave pas, c’est la réalité dans les CHSLD. La charge mentale des infirmières et du personnel soignant est élevée partout. En arrivant au travail, elles commencent leurs quarts de travail en sachant qu’elles n’auront pas le temps de faire tout ce qu’elles ont à faire, non pas en raison d’une urgence, mais parce que c’est rendu la norme. Quand ça arrive un jour, ça va. Mais quand c’est rendu la norme, c’est épuisant », déplore Sophie Séguin, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec - syndicat des professionnels en soins des Cantons-de-l’Est (SPSCE-FIQ), le syndicat qui représente le personnel en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
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« Ça prend une forme de résilience pour arrêter de se battre entre notre conscience, les soins qu’on voudrait et qu’on devrait donner, et la réalité dans laquelle on vit. Quand les gens ne sont pas capables d’aller chercher cette résilience, ils finissent par tomber en congé maladie. À Argyll, le taux d’absentéisme en assurance salaire est encore très élevé », ajoute Mme Séguin.
C’est la lourdeur de la clientèle hébergée au CHSLD Argyll qui explique que le manque de personnel soit aussi problématique. On y retrouve notamment des personnes souffrant de troubles sévères du comportement et des patients ayant besoin de soins respiratoires en continu.
La lecture du rapport n’est pas sans rappeler la sortie très médiatisée de l’infirmière Émilie Ricard qui travaille de nuit sur l’équipe volante dans l’un des quatre CHSLD de Sherbrooke. En janvier, l’infirmière de 24 ans avait publié un long texte sur sa page Facebook à la suite d’un essoufflant quart de travail en publiant une photo d’elle en pleurs pour accompagner son message. Interpellant directement le ministre de la Santé Gaétan Barrette, elle déplorait que les récentes réformes imposées au système de la santé aient alourdi la tâche du personnel infirmier, toujours moins nombreux. L’infirmière se disait épuisée et déplorait de devoir multiplier les quarts de travail en temps supplémentaire obligatoire.
Il y a quelques jours, Émilie Ricard a récidivé en publiant sur Facebook. : « Ça fait semblant de nous entendre mais rien se passe. (...) On a un manque de ressources, pas d’humanité. Puis, est-ce qu’il y a eu des changements depuis ta sortie dans les médias, Émilie? Long silence. Nope. (sic) »
« Non, rien n’a changé, ni pour Émilie ni pour les autres », s’attriste Sophie Séguin.
Lueur d’espoir
Il n’y a pas si longtemps, le CHSLD Argyll était un des fleurons de l’Estrie. C’était là que les aînés voulaient aller lorsqu’ils n’avaient plus l’autonomie pour vivre dans leur appartement. Puis tout a changé. Qu’est-ce qui s’est passé? « La fusion est un des grands coupables, c’est certain. Pendant les deux années qui ont suivi, les gestionnaires ont travaillé à restructurer la direction et les postes de gestion. Les CHSLD relevaient d’une ancienne direction. La nouvelle n’avait pas la compréhension de ce qui se vivait dans les CHSLD. Résultat, la situation s’est détériorée sans que la direction ne voie rien », suppose Sophie Séguin.
Dans la tourmente, il y a quand même une lueur d’espoir en ce moment : les travaux préparatoires pour le projet pilote qui servira à asseoir de nouveaux ratios pour le Québec vont bon train.
« En ce moment dans un CHSLD avec une clientèle comme celle d’Argyll, les ratios sont déjà trop bas. En plus, il y a plusieurs quarts de travail qui sont faits en écarts négatifs. Mais quand les travaux seront finis, nous aurons établi des ratios acceptables pour un centre spécialisé comme celui d’Argyll. D’ailleurs, dans l’avenir, il y aura plus de centres spécialisés comme celui-là qui vont apparaître », soutient Mme Séguin