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Des plateaux qui volent haut

Boeuf braisé façon bourguignonne.

CHRONIQUE / Il n’y a pas si longtemps, le cabaret servi en avion était vu comme un mal alimentaire nécessaire. Ou presque. On partait avec cette idée que ce serait sans doute fade, un peu beige, sans goût et sans panache. On avalait le contenu du plateau pour satisfaire sa faim, mais pas nécessairement ses papilles.


Je généralise et je caricature, évidemment. Mais il faut quand même reconnaître que les temps changent. Les menus aussi. Ici et là, les transporteurs aériens revoient leurs standards. À la hausse. C’est le cas chez Air Transat.

« Je souhaitais amener un changement. J’avais cette certitude qu’on pouvait mieux manger en vol et j’avais envie d’offrir à nos passagers une expérience culinaire rehaussée », exprime le vice-président service en vol et commissariat, Dave Bourdages.

Dave Bourdages

L’idée de s’associer à un chef de renom, comme le font d’autres compagnies aériennes ailleurs dans le monde, était une avenue attrayante. En décembre 2016, Air Transat tendait une main à Daniel Vézina pour qu’il revampe la carte.

« Sa vision, son talent et sa volonté d’offrir des plats du terroir faits d’aliments locaux, où on cuisine tout, de la racine à la feuille, tout ça nous rejoignait beaucoup », résume Dave Bourdages.



Daniel Vézina

Le copropriétaire des deux enseignes Laurie Raphaël a embarqué dans l’aventure gustative aérienne avec enthousiasme. Depuis près d’un an, il signe les plats principaux du menu servi d’office en classe Club. Ses créations sont aussi offertes au coût de 25 $ aux passagers des vols économiques. Incluant la petite bouteille de vin. Deux plats de déjeuner portant la griffe Vézina ont aussi été développés pour bonifier l’offre. Le tout change aux six mois et s’adapte à la saison.

N’est-ce pas un peu risqué d’accoler ainsi son nom? Après tout, le réputé chef n’est pas dans les cuisines de chaque avion où ses plats sont proposés.

Pas tant, paraît-il, dans la mesure où tout est standardisé dans les usines de Delta Daily Food, une filiale de Fleury Michon, chef de file français au chapitre de la restauration de voyage et des plateaux aériens.

« Je travaille de concert avec eux. Pour moi, c’est une tout autre façon d’aborder la cuisine, mais c’est un bel apprentissage, un nouveau défi. Il y a évidemment beaucoup de normes à respecter. Industrialiser la recette, c’est la partie la plus difficile, mais j’ai le plein contrôle sur le résultat final, c’est moi qui donne le OK. Mes critères de qualité sont élevés et tant que je ne suis pas complètement satisfait d’un plat, il ne prend pas le chemin du menu d’Air Transat. »

Parlons de ce menu, justement. Au premier coup d’œil, tout est alléchant. Blanquette de veau, coloré risotto d’orzo au fromage et tomates, pavé de saumon et nouilles asiatiques, bœuf braisé façon bourguignonne : la palette est large. Et chacun y trouve son compte, puisque le chef a pensé inclure un plat végétarien et un autre végétalien à son éventail.

Élaborer le tout a quand même commandé de la créativité. Le chef cite en exemple la lasagne de confit de canard au foie gras, un de ses plats signature au resto comme en cabine.  

« On a dû remanier la recette pour l’avion. On a utilisé une bonne pâte fraîche plutôt qu’une pâte aux épinards comme au resto et on a intégré le foie gras à la sauce. Des petits ajustements de la sorte sont nécessaires pour standardiser le plat. »  

L’agneau n’avait jamais été servi sur les vols d’Air Transat. Pas plus que le saumon, assure Daniel Vézina, qui tenait à les travailler. Il a développé de goûteuses propositions qui plaisent manifestement au palais des voyageurs. En avion comme en restauration, sa philosophie ne change pas : il souhaite s’approvisionner le plus possible dans le garde-manger du pays, c’est-à-dire auprès des producteurs canadiens.  

Une idée que supporte tout à fait la compagnie aérienne : « L’utilisation d’aliments locaux ou équitables, le souci environnemental, ce sont des critères qui nous rejoignent », remarque Dave Bourdages.

Pour le créateur de saveurs, qui dirige les talents de la relève culinaire dans la populaire émission Les Chefs!, cette nouvelle vitrine aérienne permet de faire rayonner l’excellence de la cuisine québécoise au-delà de nos frontières.

« À travers mes différents projets, l’un de mes buts, c’est d’exporter la cuisine québécoise hors pays, faire voir qu’elle n’est pas uniquement composée de sirop d’érable et de poutine. »

Des papilles qui goûtent différemment

C’est quand même tout un art de combiner fraîcheur de l’assiette et cabaret d’avion. Au chapitre de la cuisine de l’air, on est loin du quotidien de la restauration, où toute une brigade s’affaire à livrer la marchandise en salle à manger.

L’équipe qui œuvre dans la minuscule cuisine où tout est pensé et compartimenté doit être en mesure de servir les plats à point, dans les délais voulus. En plein vol, on ne badine pas avec la logistique. C’est un ballet soigneusement chorégraphié qui s’opère dans la machine en marche.

Non seulement faut-il penser au service dans pareil contexte aérien, où l’espace est restreint et le temps, compté, mais il faut aussi tenir compte des contraintes associées à la dégustation en cabine.

« Dans l’appareil en vol, la raréfaction de l’oxygène nous fait nous sentir comme si nous nous trouvions en altitude. On goûte donc un peu différemment les choses, et il faut le considérer lorsqu’on élabore une recette destinée à être servie en avion, de façon à trouver le bon dosage d’épices », remarque Dave Bourdages.

Dans tout ça, il faut aussi savoir reconnaître la part d’extraordinaire.

Comme le remarque Daniel Vézina : « Quand on s’arrête pour y penser, c’est en soi un petit miracle de pouvoir manger un plat à 30 000 pieds d’altitude. »

Délicieux repas aériens

Bon an, mal an, Catherine Lefebvre prend l’avion plusieurs fois. Des plateaux-repas, la nutritionniste et grande voyageuse en a vu de toutes les couleurs, toutes les saveurs.

Catherine Lefebvre

« Il se fait de très bonnes choses, mais aussi de moins bonnes. »

Certaines compagnies aériennes ont depuis longtemps fait de l’offre alimentaire un fer de lance.

« Je pense aux transporteurs comme Qatar Airways, dont l’offre alimentaire est tellement alléchante que j’ai hâte de prendre l’avion lorsque je vole avec eux. Ils ont même créé une carte des vins avec un maître sommelier! Je pense aussi à Emirates. Déjà il y a 13 ans, on pouvait y manger des trucs extraordinaires. Je me souviens de plats de saumon fumé et d’agneau servis à bord, en classe économique, qui étaient absolument mémorables. »

Même chose du côté de Turkish Airlines, où c’est une brigade qui sert les plats, et de Singapour Airlines, dont les spécialités coréennes ont laissé une empreinte mémorable dans le souvenir gustatif de Catherine Lefebvre.

Bref, tous les plateaux-repas ne se valent pas. Et ce, même à bord d’un même appareil : « En voyageant autant, il m’est arrivé de me faire surclasser. Là, on constate que la classe affaires et celle écono, c’est souvent le jour et la nuit au chapitre alimentaire. En même temps, je me mets à la place des transporteurs, et ce n’est pas si évident pour eux. Les gens ne veulent pas payer leur billet trop cher, ils ne veulent pas trop d’escales. Sur le plan des opérations, il y a tout un tas de contraintes qui viennent avec le contexte aérien. On ne peut quand même pas s’attendre à des miracles. »

Reste que les vols en classe économique ne sont pas, pour autant, synonymes de repas tristes.

« J’ai habité en Tanzanie, j’y retourne tout le temps. Je prends KLM, en classe économique, et je n’ai jamais été déçue. Je précise que personnellement, j’aime vraiment manger en avion. Dans ma tête, être en cabine, c’est en soi une fête parce que je suis en route vers un endroit que j’ai envie de retrouver ou de découvrir. »

Quelques trucs

Après plusieurs heures de vol à rester assis, on débarque de l’avion souvent dans un autre fuseau horaire, un autre climat, la mine parfois un peu barbouillée. Pour se donner une chance de mieux traverser le vol et le décalage horaire, quelques trucs de Catherine Lefebvre :

Planifier : « Ce qui est servi en avion reste dans une fourchette de prix raisonnable. C’est même souvent moins cher qu’à l’aéroport. Allez voir quelle est la carte en ligne puisque celle-ci varie selon les vols. Vous pourrez ainsi faire vos choix à l’avance. »  

S’hydrater : « En avion, l’air est plus sec. On a avantage à boire beaucoup en cabine. On évite aussi de manger trop salé. »

Manger futé : « Les plats plus difficiles à digérer (riches en gras, en sel et en sucre) risquent de moins bien passer. Surtout qu’on passe de longues heures assis et que notre nuit de sommeil est écourtée. »

Modérer l’alcool : « Pour éviter d’accentuer les désagréments du décalage horaire, on gagne à y aller mollo sur le vin. Prendre l’apéro à bord, c’est bien. Mais après, on peut se donner une chance et attendre d’atterrir avant de prendre un deuxième verre. »

Prévoir des collations : « On peut amener quelques grignotines nourrissantes (barres, noix, etc.), mais dans tous les cas, il faut vérifier ce qui est autorisé par les douanes, selon l’endroit d’où on part et la destination où on va. »

Prévenir plutôt que guérir : « Ce n’est pas nécessairement un truc alimentaire, mais c’est un conseil de voyageuse : il est toujours bon de trainer des sachets de poudre de réhydratation (genre gastrolyte), de l’Imodium et des Gravol, au cas où la tourista ferait des siennes. Personne n’a envie de passer son vol de retour dans les toilettes d’un avion. »