Chronique|

Revoir Tokyo

Shinjiku est un secteur achalandé où les néons lumineux prennent toute la place.

CHRONIQUE / Revoir quelqu’un après plusieurs années provoque un vertige, une petite pression au creux de l’estomac. Peur que ça se passe mal. Peur que la chimie n’y soit plus. Peur que le temps ait trop passé. Comme si on ne pouvait pas se reconnaître avec en plus quelques cheveux gris et un kilo et demi. Ou dix.


Pareil, on dirait, pour une ville qu’on a visitée six ans plus tôt. Pas n’importe quelle ville. Une grande, qui grouille, qui se transforme, qui avance à la vitesse des pas de ses quelque 13 millions d’habitants. Vite, donc. Une ville qui ne rénove pas, qui démolit et reconstruit plus grand, plus gros, plus beau.

Tokyo s’est replacée sur ma route de manière inattendue. Je m’étais présenté à elle pour la première fois dans la même foulée où j’effeuillais des dizaines d’autres villes comme les pétales d’une marguerite : les unes après les autres, pays après pays. Fin janvier, je revenais pour la première fois sur le trajet de mon tour du monde avec la nervosité de celui qui revoit pour la première fois la maison où il a grandi.

Étrangement, j’ai reconnu Tokyo plus que je ne le pensais. Je n’ai pas trop galéré pour acheter mon billet de métro, sachant trop bien que je devais payer selon la distance que je parcourrais. J’ai décodé rapidement la carte des trains, me suis rappelé qu’il fallait faire une distinction entre les wagons JR et le métro de Tokyo, deux des compagnies assurant le transport sur rail dans la capitale.

J’ai esquissé un demi-sourire en apercevant la bannière bleue des Lawson, ces dépanneurs faisant compétition à l’international 7 Eleven, mais dont j’avais zappé l’existence. Ils n’évoquent pourtant rien de particulier les Lawson, mais ils me rappelaient tout à coup que j’étais en terre nippone.

En fait oui. Je me suis souvenu d’une tartelette au chocolat, divine, que j’achetais dans l’une de ces petites épiceries. Laquelle? Je ne sais plus, mais parole de bourlingueur, il n’est plus possible d’en trouver des comme ça aujourd’hui. Légère déception.

J’ai reconnu l’efficacité japonaise, celle des transports en commun passant aux trois minutes, du service des repas presque immédiatement après qu’on eut franchi la porte des restaurants. À Tokyo, on n’attend pas avant de recevoir sa commande.

Je me suis souvenu du respect des Japonais, qui ne bousculent jamais, ne lancent jamais leurs déchets par terre, ne tournent jamais le dos volontairement aux gens avec qui ils discutent. Ils offrent des saluts en inclinant le torse, le tronc même, à l’entrée des hôtels, quand ils vous abandonnent à un ascenseur, quand ils vous rencontrent pour la première fois.

J’avais oublié ces aliments de cire, déployés dans la vitrine des restaurants pour illustrer les plats qui y sont servis, mais j’avais bien en mémoire comment commander tout un repas dans une machine à coupons.

J’ai revu la tour de Tokyo, cette mini-tour Eiffel dans laquelle je n’avais pas eu le temps de monter la première fois. J’ai remédié à la situation, vu des milliers de lumières et des milliers de gratte-ciel à 150 mètres de hauteur. J’ai vu Tokyo s’étendre sur tout l’horizon, de tous les côtés. Et je me suis presque laissé tenter par les crêpes gâteau fromage, crème fouettée et fraises. Presque.

Idem pour le Tokyo Skytree, la deuxième plus haute structure autoportante de la planète au moment de son inauguration, à peu près au même moment où je partais du Japon la dernière fois. À 634 mètres, elle est plus haute que la tour du CN.

Au temple de Senso-ji, dans Asakusa, j’ai tenté ma chance une nouvelle fois avec une tradition de bonne fortune. Je n’aurais pas dû. On fait un souhait, on secoue un contenant dans lequel sont placées des dizaines de bâtons. Le premier qui en tombera, à l’aide d’un numéro, nous guide vers un tiroir où est inscrite notre bonne fortune. Ou notre mauvaise, comme dans mon cas.

On s’exorcise en abandonnant le mauvais sort sur un petit présentoir installé à cette fin. On peut aussi se purifier avec une fumée divine. Rien de moins.

En retournant dans Shinjiku, le quartier des grivoiseries, j’ai retrouvé les foules de touristes, les néons à perte de vue. En moins de deux, j’ai été approché par des proxénètes africains qui m’offraient une invitation dans leur salon de massages. Rien n’a changé de ce point de vue. 

Les arcades ont toutefois été remplacées par des salles de jeux munies de grues miniatures permettant parfois d’attraper des figurines de mangas ou à l’effigie de Star Wars.

J’ai aussi retrouvé les toilettes à siège chauffant, installées partout, même dans les toilettes publiques, et découvert les taxis dont les portes s’ouvrent et se ferment toutes seules. N’y touchez pas, vous risquez d’insulter le chauffeur.

Enfin, Tokyo, c’est aussi croiser un vison sauvage dans un parc, des signes d’interdiction de fumer peints directement sur le trottoir et... une course de Mario Kart grandeur nature, dans les rues de la ville, avec des touristes déguisés en personnages de jeux vidéo.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.

Le journaliste était l’invité du Foreign Press Center Japan.