Chronique|

Le bordel d’Addis-Abeba

En périphérie du centre-ville achalandé, les rues d’Addis-Abeba sont tout de même animées.

Pourquoi l’Éthiopie? La question revient souvent. À part les images de Vision mondiale nous ayant inondés de reportages sur des enfants mourant de faim, on connaît peu de choses de ce vaste pays d’Afrique.


J’avoue m’être un peu posé la question en arrivant à Addis-Abeba, la capitale, dont j’avais appris le nom dans un exercice de par cœur de mon cours de géographie au cégep. Je n’en savais à peu près rien d’autre.

Addis-Abeba, ou Addis-Ababa, comme on dit là-bas, nous balance rapidement au visage la nécessité de négocier pour tout et pour rien. Un farenjii (un étranger) qui sort de l’aéroport international, l’air un peu assommé par je ne sais combien d’heures de vol, constitue une proie facile. Suffit de le cueillir et d’abuser de la belle naïveté qu’il porte encore sur la main.

J’ai eu cette petite difficulté avec Addis-Abeba dès les premières minutes, à un poste de taxis improvisé, où on me demandait 300 birrs, entre 15 et 20 $, pour une course en taxi d’à peine cinq kilomètres. Mon cerveau qui piquait encore un somme dans l’avion avait quand même trouvé le prix trop élevé. Perdu dans la conversion avec une monnaie que je n’avais pas encore apprivoisée, j’ai simplement décliné.

Dans le taxi lui-même, on réclamait 200 birrs, déjà 33 % moins cher. Même s’il s’agit d’un pays où la négociation est courante, j’ai eu un haut-le-cœur. J’en ai un chaque fois que je comprends qu’on multiplie par dix les prix en voyant ma tête de Blanc. Je comprends qu’on veuille profiter un peu de la « richesse » des étrangers qui traversent des océans pour se trouver là. Je comprends qu’il s’agit d’un jeu. Qu’il faut tenir les cordons de sa bourse bien serrés. Mais je déteste qu’on me croie assez con pour payer dix fois la valeur d’un bien ou d’un service, même si, parfois, malgré moi, je leur donne raison.

Aux fins de comparaison, les bons négociateurs étrangers s’en tireront pour 60 ou 80 birrs pour franchir cinq kilomètres à partir de l’aéroport. Si on convainc le chauffeur d’utiliser le compteur, même s’il jurera qu’il est brisé, on peut même se limiter à 40 petits birrs.

Addis-Abeba m’a rappelé l’Inde. Peut-être pas New Delhi ou Jaipur, mais quelque chose d’un tantinet moins populeux. Le plus important, c’est de traverser la première journée sans être trop exaspéré et de prendre de grandes respirations.

Il y a les taxis, partout, qui chargent trop cher. Les vendeurs de gogosses, à chaque coin de rue, qui voudront attirer votre attention. Le risque accru d’être victime d’un pickpocket avec ces passants qui nous frôlent à droite, à gauche, tout le temps. Cent fois par jour, on voudra vous entraîner vers le bureau d’Ethio Travels and Tours, LA compagnie la plus connue offrant des tours vers la dépression du Danakil ou les monts Siemens. Cette première journée, on se sent comme si on avait une énorme cible en plein milieu du dos.

Pour échapper à la sollicitation incessante, on peut se mêler à la foule dans l’une des nombreuses églises de la capitale éthiopienne.

À peine sorti de mon hôtel pour explorer, j’ai été apostrophé par un enfant, un de ces nombreux gamins qui bossent à laver et cirer des chaussures pour quelques birrs. Son petit banc et sa brosse sous le bras, il me suivait en insistant pour que je lui donne de l’argent.

Un deuxième enfant s’est greffé. Puis un troisième. Mine de rien, en infériorité numérique, il y a toujours ce danger qu’on finisse par nous distraire pour plonger subtilement les mains dans nos poches et y dérober ce qui s’y trouve.

Avec trois garçons accrochés à mes godasses depuis une dizaine de minutes, je suis entré dans une église orthodoxe pour avoir un peu la paix. Les gamins ne s’y sont pas risqués.

Sauf que le ballet reprend de plus belle avec d’autres vendeurs, d’autres passants. À Meskel Square, une place publique d’où partent plusieurs bus, impossible de s’asseoir sans être sollicité. À la Piazza, même combat. On veut nous vendre un livre pour nous apprendre l’amharique, la langue locale, ou simplement nous donner un cours d’histoire sur Addis-Abeba. Il faudra tôt ou tard donner quelques pièces.

C’est épuisant! Très!

Mais après la première journée, on marche avec plus de confiance. On trouve quelques repères. On connaît mieux la valeur des produits. On ignore derechef quiconque s’adresse à nous et on retrouve la pleine liberté de nos mouvements.

Addis-Abeba, Addis, pour les intimes, ce sont quelques églises sacrées. C’est un musée de la terreur racontant le massacre de milliers d’Éthiopiens à la fin des années 1970. Comme au Rwanda, comme à Hiroshima, comme en Bosnie, une statue porte la mention « Never again ». Addis, c’est un musée abritant le squelette de Lucy, un des plus vieux ancêtres de l’être humain.

Addis est une ville qui grandit à vitesse grand V. On y trouve de bons restaurants, des bars populaires aussi. C’est un métro de surface, beaucoup trop petit et beaucoup trop bondé pour qu’il soit efficace.

Addis, c’est une ville dont on doit s’imprégner longtemps pour la comprendre. Des Européens y vivant depuis des mois, des années même, m’ont confié n’avoir toujours pas trouvé leur place dans cette grande capitale africaine.

En Éthiopie, c’est moins le bordel d’Addis-Abeba que j’allais chercher que l’histoire riche de ce berceau de l’humanité. Ses églises du patrimoine mondial de l’UNESCO, ses paysages à couper le souffle, ses villages isolés charment heureusement plus que l’étourdissante capitale.

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