Debre Damo, situé sur un plateau surélevé d’une quinzaine de mètres, trône à l’abri du temps. À l’abri des envahisseurs aussi. Pour y monter, pas d’escalier, pas d’ascenseur. Seulement une très grosse corde et une paroi rocheuse sur laquelle s’accrocher.
Pour les farenjis, les étrangers, les moines proposent un système de sécurité : une corde de cuir qu’il faut s’attacher autour de la taille. Le Lonely Planet fait état de cette curiosité. Il recommande de ne pas s’attarder à la qualité des cordes et de ne pas regarder en bas au moment de monter ou de descendre. Ça vaut mieux.
Malgré le petit côté inquiétant de l’entreprise, quand on est un homme, il reste tentant de vouloir tenter l’ascension. Si les femmes ne peuvent pas grimper, elles peuvent néanmoins apprécier le spectacle de ceux qui mettent leurs talents d’escalade à profit. Déjà, il y a de quoi être impressionné.
Au départ d’Axum, une ville inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, il faut environ deux heures pour atteindre le pied du plateau de Debre Damo. Notre chauffeur racontait qu’en temps normal, le site est plutôt délaissé des touristes.
Pas ce jour-là. Au pied du sentier qui monte en escaliers jusqu’aux fameuses cordes, des dizaines d’autobus ronronnaient en attendant le retour de leurs passagers. Des femmes patientaient à l’ombre de chapiteaux de fortune.
À quelques jours d’un grand pèlerinage dans la ville d’Axum, les Éthiopiens affluaient dans le nord du pays.
Plusieurs s’arrêtent en chemin pour visiter les églises de la région de Tigré, dont celle de Debre Damo.
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Près de la paroi de la falaise, dans une cohue semi-organisée, les hommes se lançaient sur les cordes pour être les prochains à grimper. Certains montaient même si un autre descendait, donnant lieu à des dépassements laborieux.
Après négociation pour calmer l’ardeur des fidèles, l’autoroute verticale s’est calmée pour nous laisser passer. S’élever vers le monastère est encore plus difficile qu’il ne le paraît. Il ne faut pas réfléchir et y aller de toutes ses forces.
La récompense, c’est une église de bois qui aurait été la première fondée en Éthiopie, quelque part vers le sixième siècle. On nous a raconté qu’environ 300 personnes vivent encore dans la région et que les moines se relaient sur le plateau pour assurer l’entretien et la surveillance des lieux.
On trouve aussi un socle rocheux percé de deux bassins d’eau sainte, de l’eau couverte d’algues. Un peu plus loin, on aperçoit un troupeau de bœufs broutant paisiblement.
« Comment ils sont arrivés là? » demandons-nous. La réponse, je vous le donne en mille : la fameuse corde de cuir. Et il semblerait qu’on hisse les animaux une fois adultes... Mieux vaut ne pas penser au nombre de ruminants qui sont passés avant nous au moment de nouer ladite corde autour de notre taille.
Si les femmes ne sont pas admises sur le plateau du monastère, c’est le genre féminin de toutes les espèces qu’on garde à l’écart. Les animaux qu’on emmène sont donc tous des mâles, à l’exception des chats, des singes et des oiseaux, qu’il est impossible de contrôler.
La vieille église de bois qu’on peut visiter, avec ses peintures ayant traversé les siècles, semble toute droit sortie d’une autre époque. En fait, elle sort bel et bien d’une autre époque. Plus récente, une petite église peinte de rose, à flanc de falaise, permet surtout de prendre de superbes clichés. Quoique quelques cercueils entreposés dans le roc, à côté de l’église, ne laissent aucun doute sur le caractère sacré de l’endroit.
Un peu avant de redescendre, une agitation près de la « porte d’entrée » du site religieux, tout en haut du mur à escalader, a retenu mon attention. Un homme, apparemment touché par le diable alors qu’il cherchait à s’élever vers le monastère, est pris d’une rage soudaine. Les yeux retournés, la respiration haletante, il est retenu par quelques fidèles alors qu’un moine s’amène pour mener un exorcisme. L’homme s’effondre, est pris de convulsions pendant que le religieux multiplie les signes de croix.
Le pèlerin s’est relevé, désorienté. Pour le purifier encore davantage, on l’a aspergé d’eau bénite. Chaque fois qu’une salve humide s’abattait dans son dos, l’homme poussait un cri. Finalement, le diable n’a pas réussi à s’inviter dans l’enceinte orthodoxe.
Enfin, il fallait redescendre. Après avoir attaché une corde autour de ma taille, j’ai passé la petite porte qui mène au vide. « And now you go down », me dit mon chauffeur. Down, ça oui, même si c’est plus facile à dire qu’à faire. Sur une paroi où les prises manquent, il suffit de glisser un brin pour que le harnais de fortune soit notre seule protection contre une chute vertigineuse.
Le plus encourageant, c’est d’entendre tous ces spectateurs, au pied de la falaise, qui hululent des cris stridents dès qu’un grimpeur perd un tant soit peu son équilibre. Allô l’intimidation.
J’ai néanmoins pu monter et descendre, avec un peu d’aide, sans me laisser gagner par la frousse. D’autres, plus impressionnés par les hauteurs, se laissent parfois hisser directement sur les épaules d’un autre grimpeur.
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