Quand j’ai choisi l’Éthiopie comme destination, un peu à l’aveuglette, on m’a immédiatement suggéré de visiter la dépression de Danakil, une des régions les plus inhospitalières dans le monde. L’Erta Ale, dont le nom signifie « montagne fumante », est un volcan qui culmine à 613 mètres d’altitude. On peut le visiter en même temps que les déserts de sel et les lacs de soufre de la région.
Grimper le volcan, c’était le point culminant du voyage, le moment que j’attendais avec le plus d’impatience. Le seul vrai moyen d’y accéder passe par un tour organisé. Des guides négocient un droit de passage avec le peuple Afar, installé dans la région. Des gardes armés assurent notre protection, à deux kilomètres de marche de la frontière tumultueuse de l’Érythrée.
J’avais bien lu qu’en 2012, cinq personnes ont été tuées et deux kidnappées par des rebelles. Mais le calme semblait revenu. Pourtant, le jour de mon ascension, le 29 novembre, je ne me doutais pas qu’une fusillade prendrait la vie d’un touriste allemand, quatre jours plus tard, là où j’avais posé les pieds. Ces kalachnikovs, trimballées nonchalamment par nos gardes armés, n’étaient donc pas vouées qu’à nous impressionner.
Ce jour-là, pourtant, rien ne laissait croire à un réel danger. Sous le soleil de plomb de Mékélé, la deuxième ville en importance en Éthiopie, une caravane d’une dizaine de voitures a pris la route du désert, s’arrêtant dans un village le temps de boire un thé.
À travers la steppe, les 4X4 roulaient ensuite sur un bitume tout neuf avant de bifurquer dans le sable où les Chinois ont amorcé la construction d’une nouvelle route. En attendant le chemin balisé, comme des enfants, les chauffeurs ont pris chacun une direction, contournant des obstacles et laissant à leur traîne des nuages de poussière. Pour les derniers 11 kilomètres, ils ont toutefois adopté la vitesse tortue, roulant pendant plus d’une heure sur d’inégales pierres volcaniques.
À l’entrée du campement de base, un épouvantail revêtant un habit militaire offrait un salut figé. Perchés quelques mètres plus haut, des soldats bien vivants observaient tout le campement. En toile de fond, un danger tacite dont personne ne parlait vraiment.
Nous nous sommes posés en attendant que la nuit tombe, assis sur des chaises de fortune pour engloutir un plat de pâtes. L’accès au cratère était prévu une fois la nuit tombée à cause de la chaleur trop accablante le jour. Parce que le spectacle de la lave en fusion, aussi, serait plus impressionnant en pleine noirceur.
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Nos lampes frontales installées, nous avons commencé à marcher vers 20 h. La lueur de la lune, presque pleine, suffisait à éclairer le chemin, d’abord sablonneux, puis bien rocheux. Derrière nous, des chameaux transportaient les matelas sur lesquels nous devions passer la nuit, bien en haut de la montagne.
Trois heures, à la queue leu leu, c’est le temps qu’il faut pour gravir les quelque 500 mètres d’altitude qui nous séparent du sommet. Trois heures où, selon les consignes, il ne fallait jamais s’éloigner du sentier ni perdre de vue le jeune éthiopien qui menait la randonnée.
Tout en haut, la fumée nous a accueillis, enveloppés, assaillis. La marmite bouillante faisait fi des visiteurs et embrouillait l’horizon sans gêne.
« Il n’y a qu’un chemin pour se rendre au cratère. Soyez très prudents », prévenait notre accompagnatrice, qui prenait le flambeau pour nous entraîner encore plus près du magma en ébullition. Un pied devant l’autre, doucement, nous nous sommes approchés.
Mon foulard sur la bouche, j’ai avancé vers le réservoir de lave. Le sol, encore brûlant quelques mois auparavant, craquait sous mes pieds. La lave transformée en pierre, parfaitement friable, n’avait pas encore fini de se figer.
À moins de cinq mètres d’une chute vertigineuse vers un puits en feu, la nature grondait à travers nos semelles. Je me suis approché. J’ai vu le rouge vif, saisissant, qui coulait en provoquant d’énormes bouillons. J’ai vu le cœur de cette Terre battre et me montrer à quel point j’étais petit. Je me suis laissé hypnotiser par sa puissance tout à fait indescriptible.
Nous sommes restés là près d’une heure, sur ce volcan qui aurait su nous emporter tous s’il s’était le moindrement énervé. Au moment de rebrousser chemin, il nous a raccompagnés vers le camp du sommet quand le vent a tourné. Un immense nuage au goût de soufre nous a coupé l’oxygène, brûlé les yeux, et rappelé que nous n’étions plus les bienvenus.
À une centaine de mètres de là, nous avons dormi dans un froid surprenant pour une montagne fumante. À travers les borborygmes de l’Erta Ale et l’odeur des chameaux, nous avons dormi quatre petites heures avant d’entreprendre la descente qu’il fallait attaquer avant que le soleil et la chaleur ne réapparaissent.
Sa kalachnikov en main, un soldat nous a ramenés sains et sauf au pied de la montagne, d’où nous repartions la tête pleine de souvenirs impérissables. Si seulement nous avions pris la mesure du danger qui planait et qui s’abattrait quatre petits jours plus tard.
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