Voilà le constat que pose un médecin omnipraticien de Sherbrooke à la suite de l’annonce, survenue jeudi, que le ministère de la Santé et des Services sociaux souhaite que ses usagers en CHSLD soient moins nombreux à prendre des médicaments antipsychotiques. Environ 5 % des patients ont vraiment besoin de ce type de médicaments, alors qu’en ce moment, de 40 à 60 % des usagers en consomment de façon continue ou occasionnelle.
Ce médecin, qui préfère garder l’anonymat, travaille sur un étage d’hospitalisation dans un des deux hôpitaux du CHUS. Des antipsychotiques, il doit en prescrire. Souvent. Plus souvent qu’il le voudrait. La raison est simple : les ressources pour faire autrement sont tout simplement insuffisantes à l’intérieur des établissements de santé, autant à l’hôpital qu’en CHSLD.
Prenons un exemple. Les patients atteints d’Alzheimer développent souvent des comportements avec un peu d’agressivité, surtout lorsqu’on les confronte. « Le patient nous dit : je veux retourner chez moi. On lui explique que chez lui, c’est maintenant ici (au CHSLD), qu’il ne peut donc pas partir. Ça le met en colère. Si on a le temps de passer du temps avec lui et de désamorcer la situation, il se calme et ça finit là. Mais si on n’a pas le temps de discuter avec lui pour le calmer, ça explose en délérium, en Code blanc (le personnel médical doit maîtriser physiquement le patient) et en prescription d’antipsychotiques pour calmer la personne », cite le médecin.
Différentes approches peuvent être mises de l’avant pour aider les patients dans ce type de situation, mais un mot-clé demeure : le temps. Prendre le temps d’être avec eux. Or dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de temps supplémentaire et de quarts de travail à découvert, le temps est un luxe qu’on ne peut se permettre à l’hôpital ou en CHSLD.
« Quand j’ai commencé ma pratique il y a une dizaine d’années, c’était plus facile de demander une « constante » auprès des patients agités, c’est-à-dire d’une personne dont la tâche est d’être avec le patient constamment pour créer des liens avec lui et justement prévenir ce type de situation. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile d’avoir accès à ce type de personnel. Je dois refaire une prescription pour ça tous les jours. Et dès la deuxième journée, je reçois un coup de fil de la direction pour m’inciter à trouver d’autres solutions pour mon patient, dont la médication. On me dit qu’on n’a ni les ressources financières et ni les ressources humaines pour avoir des constantes auprès des patients qui sont « simplement » agités », souligne le médecin.
« Or nous connaissons bien les risques d’utiliser ses médicaments, autant sur le patient qu’à titre de sanctions et de poursuites éventuelles. Mais qu’est-ce que je peux faire si je n’ai personne pour l’accompagner ? Attacher le patient ? Non. Il reste les médicaments », souligne l’omnipraticien.
En effet, le Collège des médecins du Québec est très clair : les médecins doivent prescrire correctement les antipsychotiques
« Le Collège évalue, lors de ses inspections professionnelles, si les médecins prescrivent correctement des antipsychotiques. Depuis quelques années, le Collège constate que les médecins prescrivent de plus en plus ce médicament à des personnes âgées. Des recommandations sont formulées par le Collège aux médecins qui ne prescrivent pas adéquatement des antipsychotiques. Si le médecin pratique dans un établissement de santé, les recommandations formulées sont également transmises au Conseil de médecins, dentistes et pharmaciens. Le Collège peut effectuer des visites de contrôle afin de valider si les établissements ont donné suite aux recommandations », souligne la relationniste Leslie Labranche.