Avant de partir, j’avais pris soin d’anticiper chaque pépin. Pour la carte de guichet automatique, on racontait qu’il fallait un code à quatre chiffres, sans quoi certains lecteurs européens ne reconnaîtraient pas notre technologie. Il fallait que la carte porte le logo « plus », pour valider qu’elle fonctionnerait à l’international.
J’avais commandé deux cartes de crédit : une Visa, une MasterCard. On n’est jamais trop prudent.
Les chèques de voyageurs? Pourquoi? On avait bien passé le cap des années 2000.
J’avais rêvé de Rome depuis que j’avais vu le Colisée dans mes livres d’histoire. Pour une première incursion sur le Vieux Continent, je ne pouvais ignorer la fontaine de Trévi, mythique. Aussi ai-je pris le temps de traverser la place Saint-Pierre, déserte à cause de la pluie, et de m’arrêter à la chapelle Sixtine, où des surveillants répétaient « no photo » sans arrêt, pendant que les visiteurs s’entassaient toujours plus serrés.
C’était l’année des Jeux olympiques. L’Italie s’apprêtait à accueillir le monde entier plus au nord, à Turin et dans les montagnes environnantes. À trois semaines de la cérémonie d’ouverture, en plein mois de janvier, j’avais fait toutes les entourloupettes pour m’y rendre.
Pour ce faire, j’ai sacrifié Pise, impossible à atteindre dans mon trajet. Mais Florence. Florence! C’était bien sur la route.
Florence, c’est l’immense Duomo, cette cathédrale Santa Maria del Fiore. C’est surtout la statue du David, de Michel-Ange. Un incontournable.
J’ai pris le train à partir de Rome en matinée, avec un peu moins de 10 euros en poche, avec pour arrivée Turin, au nord, où un lit m’attendait pour la nuit. Ça me laissait un peu plus d’une demi-journée pour Florence, le temps d’une escale pour visiter les environs de la gare.
Il suffisait de laisser son bagage au comptoir de la gare, pour quelques euros, et on le surveillait pour nous. Voilà qui entamait encore un peu plus mon budget.
Pas de problème! 2006 avait fait son œuvre. Au premier guichet automatique, je retrouverais de quoi payer ma pitance.
Sauf que... Sauf que le distributeur de billets a recraché ma belle carte toute neuve, pourtant frappée du logo « plus ». La carte de ma compagne de voyage, qui n’avait plus que quelques pièces en poches également, avait subi le même sort.
Il faut dire qu’il arrive que certaines banques ne soient pas compatibles avec les nôtres... ou que le distributeur soit tout simplement vide de ses billets. Quand la situation se présente, vaut mieux tester une autre machine.
Après trois banques différentes, j’ai compris que quelque chose clochait. C’était avant que l’internet soit universel. Que les téléphones intelligents, au bout des doigts, nous permettent de régler tous nos problèmes en moins de cinq minutes. Parler à un humain, directement sur place, demeurait la meilleure solution.
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Dans les banques, on nous recommandait seulement d’essayer ailleurs, sans vraiment nous offrir d’autres solutions.
Ainsi avons-nous encerclé des dizaines de banques sur notre plan de Florence, alors que nous n’avions pas les fonds nécessaires pour entrer dans le magnifique Duomo ou pour saluer David. Parce que non, on ne prenait pas les cartes de crédit partout, partout, partout.
J’ai vu le Duomo de l’extérieur, ce qui n’est quand même pas si mal, avant de m’arrêter dans deux ou trois banques. J’ai détesté Florence un brin. Et j’ai marché jusqu’au fleuve Arno, pour voir son magnifique Ponte Vecchio. J’ai adoré ses constructions à flanc de pont, ses amoncellements de cadenas laissés là par des amoureux.
J’ai visité encore des banques, toujours sans succès. Et j’ai encore détesté Florence.
Aujourd’hui, j’imagine des dizaines de façons de me sortir de mon impasse. Je pense à une avance de fonds sur une carte de crédit, directement dans un guichet automatique, ou encore dans un restaurant, où on aurait certainement accepté de me rendre service en gonflant le prix de la facture et en me remettant la différence. J’ai aussi, désormais, toujours quelques billets américains en réserve pour les situations imprévues. Et bien sûr, j’évite d’attendre qu’il me reste à peine de quoi manger avant de secouer l’arbre à monnaie.
Mais ce jour-là, après avoir accumulé plus de souvenirs des banques de Florence que de ses attraits touristiques, je suis parti pour Turin les poches bien vides. Je suis parti en détestant bien injustement Florence.
Ce jour-là, c’est le réseau de ma banque qui a flanché pendant quelques heures. Si tout est rentré dans l’ordre à une heure décente ici, il était trop tard, là-bas, pour sauver ma journée et mes souvenirs de Florence.
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