En février, Rotorua, bien qu’ensoleillée, était plutôt calme. À moins de vouloir dépenser des fortunes pour des activités un tantinet extrêmes, comme dévaler une colline dans une boule de plastique, on ne s’attarde pas à Rotorua.
Pour découvrir la culture maorie, on y propose deux ou trois théâtres où les performances formatées n’ont rien de très emballant. Le programme consiste généralement en un repas et quelques danses traditionnelles. Majoritairement, ces restaurants-cabarets reçoivent des autobus remplis de touristes qui repartent à la fin de la soirée.
Le restaurant s’est rempli ce soir-là de touristes asiatiques. Ma voisine de table, une Japonaise ricaneuse, communiquait dans un anglais approximatif. Persévérante, elle n’abandonnait pas au premier obstacle et s’assurait d’entretenir la conversation.
Alors que la soirée s’apprêtait à commencer, la maître de cérémonie m’a déclaré grand chef de tribu. Je soupçonne que mes connaissances de l’anglais y étaient pour quelque chose.
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Être grand chef implique de monter sur scène et de regarder un guerrier maori dans les yeux alors qu’il réalise une danse de bienvenue. Une danse un brin menaçante, il faut l’avouer, alors qu’il dirige une lance vers l’étranger, en l’occurrence moi, en tirant la langue et en me fixant avec de grands yeux exorbités. Il me fallait ensuite m’agenouiller pour ramasser une plume qu’il avait posée sur le sol.
Être le grand chef, c’était aussi de se servir à manger en premier. Dans ce cas-là, on nous avait préparé des légumes et de la viande à la vapeur, manière maorie. Normalement, les fours maoris sont creusés dans le sol. Pour les besoins de la cause, il s’agissait plutôt de grandes cuves de métal.
Après plusieurs danses sans grand entrain, les artistes ont invité les spectateurs à se joindre à eux pour apprendre des mouvements typiques. Si les femmes ont appris à manier des espèces de pompons, les hommes ont dû se montrer énergiques et menaçants en tirant la langue sans retenue.
Qui menait la charge pour diriger tous ces apprentis? Yours truly, bien sûr, en son état de grand chef temporaire.
Ma nouvelle copine japonaise se bidonnait sur sa chaise. Pas besoin de mots anglais pour me transmettre ses impressions. Le ridicule la faisait réagir.
Parce qu’on avait bien rigolé, nous nous sommes entendus pour nous croiser, si le temps le permettait, lors d’une escale que je prévoyais au Japon, quelques semaines plus tard. Elle en profiterait pour perfectionner son anglais, qu’elle disait.
Arrivé à Tokyo, j’ai convenu d’une journée pour découvrir la capitale japonaise en compagnie de ma nouvelle amie. Mal à l’aise, du bout des lèvres, elle demande : « Aurais-tu deux jours? La liste de choses que je veux te montrer est trop longue. »
Comment dire non? D’autant qu’elle se proposait de me montrer le mont Fuji, que j’avais rayé de mes destinations parce qu’il était difficile à atteindre en transport public.
Elle m’a guidé au marché de poissons de Tsukiji, insistant pour payer les sushis frais que nous goûterions pour le petit-déjeuner. Elle m’a enseigné la prière dans les temples locaux, fait traverser l’intersection la plus achalandée de Tokyo, fait visiter le red light et montré les meilleures vues sur la ville dans les gratte-ciels publics.
En sa compagnie, j’ai aussi mangé des okonomiyakis, ces espèces d’omelettes japonaises cuites sur une plaque chauffante, et j’ai expérimenté, non sans créer quelques malaises diplomatiques, les bains publics que fréquentent les Tokyoïtes. On les appelle « onsen ».
Cette amie m’a aussi guidé dans l’achat de billets pour le tournoi des sumos, événement unique qui se tient environ deux fois par année. Et elle m’a conduit autour du mont Fuji, à défaut de pouvoir y grimper, pour que je puisse observer la mythique montagne japonaise.
Nous nous sommes même arrêtés dans un festival de cerisiers en fleurs où nous avons pu goûter la crème glacée faite à partir de ces fleurs colorées.
Dans les quelques heures qu’a duré le trajet, mon amie m’a enseigné la prononciation exacte de quelques mots de base en japonais, comme « arigato », et a tenté de comprendre la différence entre les mots anglais « crowd », pour foule, et « cloud », pour nuage.
C’est qu’en japonais, le r n’existe pas réellement. Alors malgré ses efforts, la « foule » se transformait constamment en « nuage ».
Nous avons rigolé. Encore. Comme quoi une conversation improvisée avec un vocabulaire restreint, en Nouvelle-Zélande, m’a permis de voir le Japon à travers la loupe des Japonais.
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