Chronique|

Gabriel, la montagne et l’Afrique

Dans une des rues secondaires de Gisenyi, au Rwanda, la vie quotidienne suit son cours.

CHRONIQUE / Ceci n’est pas une critique, même s’il est question de Gabriel et la montagne, un film de Fellipe Gamarano Barbosa. Un long-métrage de voyage, vous l’aurez deviné, conçu à partir des notes de Gabriel Buchmann, parti à travers le monde pendant un an et décédé alors qu’il s’apprêtait à rentrer.


Pas de divulgâcheur ici. L’histoire est vraie. Il est dévoilé, dès les premières minutes sur grand écran, que le jeune Brésilien a été retrouvé mort dans une montagne au Malawi.

La bande-annonce m’avait bouleversé. Le condensé de quelques minutes me replongeait dans la liberté, la naïveté, l’incongruité d’un tour du monde. De toute évidence, le personnage de Gabriel vit à 100 miles à l’heure, se fout un peu de ce que les autres peuvent penser et cherche à se tremper dans la vie locale plutôt qu’à fréquenter les sites purement touristiques.

Comme les critiques l’ont parfois souligné, la bobine complète de Gabriel et la montagne n’est pas aussi touchante. Les mouchoirs que je gardais, pas très loin, au cas où, n’ont pas servi. Niet. Même pas l’œil humide.

Pour l’aventurier en moi, l’histoire a plutôt soulevé un dilemme moral, une introspection, une critique des « grands voyageurs », ceux qu’on entend souvent nous raconter comment sortir des sentiers battus. Parce que c’est précisément ce que faisait Gabriel Buchmann en visitant des tribus Massaïs, en demandant au chauffeur d’un bus de l’abandonner en pleine brousse au Kenya ou en Tanzanie.

On voit d’une part cette envie de suivre un rythme lent, d’autre part ce désir de se fondre à la population locale, même si le défi relève de l’utopie. Gabriel s’emporte parce qu’il refuse de payer le prix des « touristes », résiste à manger dans les restaurants avec les plus belles vues, encore trop touristiques, et il engueule un guide qui ne rend pas les services pour lesquels ils s’étaient entendus. Un classique de la négociation dans certains coins du monde.

J’étais divisé. Parce qu’après plusieurs mois sur la route, on développe un pif pour les arnaqueurs. Vrai qu’on s’impatiente un peu à partager nos expéditions avec d’autres voyageurs qui n’y voient que du feu, nous demandent de laisser tomber quand on voudrait négocier encore un brin. Vrai qu’il y a une certaine arrogance à rabrouer ces autres qui n’ont « pas encore compris », qui ouvrent leur portefeuille comme un buffet libre-service. Parce qu’après tout, on sera toujours un étranger. Il faut choisir ses combats.

Mais justement, parce qu’on sera toujours un étranger, on risque dans la méfiance de passer à côté d’occasions en or. Après plusieurs mois sur la route, on devient aussi immunisé aux inconnus qui nous abordent et nous offrent toutes sortes de services pour de l’argent.

Pourtant, dans le film, on voit bien que ces fournisseurs de services sont devenus des amis du personnage principal. Qu’ils sont bienveillants.

Dans un village du sud de l’Ouganda, les motocyclistes cherchent l’ombre sous un arbre.

Ça m’est arrivé au Rwanda, alors que je sortais de Camp Kigali, ce mémorial dédié à dix soldats belges abattus pendant le génocide. Une étudiante m’a abordé, a lancé la conversation, et a proposé de marcher avec moi. Bien sûr, la prudence me faisait hésiter. Mais au bout d’un moment, elle m’a guidé jusqu’à la station de transport public, bien loin d’être organisée comme celles qu’on connaît au Québec.

C’est là que nous avons pris le dîner, à l’arrière d’un petit dépanneur où quelques réchauds permettaient d’offrir une espèce de buffet. Du bœuf, des pommes de terres entières, des courges, des fèves, du riz et des frites figuraient au menu. Rien de bien gastronomique, ni dans le goût, ni dans la présentation, ni dans le prix. La viande était d’une dureté caoutchouteuse. Mais j’ai mangé là, avec les autres Rwandais, comme ils le font entre eux. Pas comme un touriste dans un restaurant de touristes. J’étais attablé dans un endroit que je n’aurais jamais trouvé autrement.

Et c’est un peu ça qui m’est resté de Gabriel et la montagne. Par-dessous tout, c’est cette conviction qu’il faut s’ouvrir encore à l’Afrique, ce continent qui agit comme un personnage silencieux dans le film.
Je me souviens du message de Brunot Blanchet, à travers ses Frousses autour du monde, où il implorait les Québécois à découvrir l’Afrique, à arrêter d’en avoir peur, même. Il avait raison.

Que savons-nous de l’Afrique, un continent énorme comptant plus d’une cinquantaine de pays? Il y a pourtant tellement de beautés, bien au-delà des éléphants, des zèbres et des girafes qu’on veut apercevoir dans les safaris. Bien sûr qu’il y a là une richesse. Mais la beauté, elle est dans le fond des yeux des gens, au creux de leurs mains, de leur cœur qui raconte leur famille, leur histoire, leurs traditions.

Bien sûr, bien sûr, je retiens les chimpanzés de l’Ouganda, les éléphants de l’Afrique du Sud et la tristesse des massacres au Rwanda. Mais j’ai eu une envie folle de m’attarder, justement en Ouganda, où j’aurais regardé les gens pendant des jours, assis dans un coin, parce qu’ils auraient tant à m’apprendre.

Peut-être avons-nous peur de découvrir l’Afrique. Parce que la malaria. Parce que la pauvreté. Parce que le désert. C’est bien ça, non, les clichés qu’on nous raconte de l’Afrique?

L’Afrique, c’est la diversité des médinas du Maroc, de la Tunisie, des pyramides d’Égypte, des montagnes du Congo, de la Tanzanie, des steppes du Kenya, des déserts de Namibie, des plages du Mozambique.
Je rêve justement de Namibie, du Bénin, du Gabon, de la Zambie, du Sénégal, d’Éthiopie, de Madagascar. 

Et si on se donnait la peine de vraiment découvrir l’Afrique?

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