La porte d'entrée, c'est Brasov. Son signe inspiré des lettres d'Hollywood sur la montagne. Sa vieille ville qui se parcourt en moins d'une heure, avec ses rues piétonnières. L'église noire, qui tire son nom de l'incendie qui a noirci ses briques. On s'y accroche les pieds et on reste plus longtemps que prévu. Juste parce que. Parce que c'est beau. Parce qu'on peut y mettre son pied à terre et faire des sauts de puce partout dans les environs.
Après des tentatives infructueuses de trouver un chemin vers Biertan ou Viscri, des villages aux églises fortifiées inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO, j'ai adopté un plan B proposé à l'auberge : Zarnesti. Sans voiture, il faut oublier les communes isolées, qui ne sont souvent pas desservies par le transport en commun.
Zarnesti, reconnu pour une réserve où les visiteurs peuvent observer les ours, propose aussi quelques options de plein air.
De Brasov, on prend le train « express » qui dessert spécifiquement Zarnesti. Le vieux machin bruyant, comme un autobus scolaire des années 1950 sur un chemin de fer, fait la liaison cinq ou six fois par jour. C'est exactement le stéréotype que je me fais des trains qu'on devait trouver en URSS. J'ajouterais de gros nuages de fumée noire épaisse, pour le folklore, même si je n'en voyais pas par la fenêtre.
La gare de Zarnesti, à l'écart du village, a poussé en campagne. Sur les rails, des citernes immobiles prennent la poussière depuis on ne sait quand. Et il y a les montagnes, droit devant.
Les rues aussi accumulent la poussière. Sur les panneaux de signalisation, on prévient que les voitures et les bus partagent la route avec les charrettes. Entre les mouches qu'on entend voler et le soleil de plomb qui plombe, on voit presque le temps marcher dans les rues désertes. Niet. Rien. Qu'une vieille femme qui finit par faire grincer la clôture de l'église orthodoxe.
Il y a bien la place centrale, ses quelques bancs pour se poser, sa statue de soldat conquérant. Là, là, les villageois circulent jusqu'à la petite épicerie où la caissière âgée travaille aussi vite que le temps marche dans les rues désertes.
Les bottines bien lacées, une fois qu'on a passé LE carrefour giratoire du village, on s'enfonce pour un kilomètre, peut-être deux, vers le parc national Piatra Craiului.
On marche le long des petites maisons, cordées le long de la route, bordées de rondins de bois tout aussi cordés. On confirme du même coup que la charrette circule encore dans le village.
Quand la sueur se pointera, vous comprendrez comme moi pourquoi la plupart des randonneurs se rendent là en voiture. Quand le chemin devient terreux, aux nuages de poussière soulevés par les voitures, vous comprendrez comme moi pourquoi les piétons sont peu nombreux dans les parages.
Les conventions locales nous échappent facilement. Au moment de commencer l'ascension, un homme m'interpelle avec autorité. Le roumain, savez, ce n'est pas encore mon point fort.
C'est que quelque part sur le chemin de terre, dans la foule d'amateurs de plein air, se trouve un gars vendant des droits d'accès au parc de national. Un gars quelconque. Pas de dossard. Pas de rien. Faut savoir.
Mon objectif, la Cabana Curmatura, se situe à environ 1500 mètres d'altitude. De là, on peut grimper encore, mais pour une seule journée, mieux vaut s'arrêter.
Si on ne se perd pas à suivre le sentier balisé, qu'on parcourra en 2 h 30 environ, aller simple, on débouche sur une clairière offrant une vue magnifique sur la chaîne de montagnes. Au milieu, là, seule, une maison de bois. Et le bruit des cloches.
En pleine montagne roumaine, le bruit des cloches des moutons, un berger à chapeau et à grandes bottes, avec son bâton de bois et son chien qui le suit fidèlement. Les bêtes courent entre les rochers alors que broutent des vaches juste un peu plus haut. L'âne, lui, sert à transporter des cruches que le berger remplira à une source tout près.
Je me croyais dans un dessin animé de mon enfance. On a beau avoir déjà vu des moutons, un âne et un chapeau de berger, tous les ingrédients dans la même montagne roumaine, ça nous souffle un peu.
Suffisait donc de moutons pour me donner l'énergie qu'il fallait pour finir l'ascension.
À la cabane, le restaurant de « slow food », où le service est plus lent que la caissière de l'épicerie de Zarnesti, sert des saucisses et de la soupe. Un menu tout roumain qui risque de rester sur l'estomac pour parcourir la deuxième moitié des 20 kilomètres que compte la promenade du jour.
Près de la cabane, des dizaines de tentes sont bien plantées. Randonner et passer la nuit en montagne, quelle idée géniale.
Après m'être imaginé à lire dans les étoiles de la Roumanie dans la noirceur du Piatra Craiului, je me suis laissé bercer à nouveau par les cloches des moutons, sur le chemin du retour.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.