Au revoir petit train de bambou

Le train de bambou consiste en une plateforme de bois sur des roues. Il est propulsé par un petit moteur à bateau.

CHRONIQUE / Le gouvernement cambodgien entreprend de remettre en état son réseau ferroviaire. Une bonne nouvelle dans un pays où les chemins de fer sont dans un état tellement déplorable que les trains avaient cessé de circuler à plusieurs endroits.


L'ironie, dans une annonce qu'on serait tenté de célébrer, c'est de constater que des villageois perdront leur gagne-pain de fortune quand les lourdes locomotives reprendront du service. Leurs trains de bambou, des espèces de chariots de bois montés sur des roues, propulsés par de petits moteurs à bateau, sont voués à la disparition.

D'un côté, le folklore attirant les touristes est menacé. De l'autre, un peuple investit dans la modernité. Peut-on vraiment souhaiter aux Cambodgiens de continuer à se patenter des trains de fortune pour le simple plaisir des voyageurs en soif d'expériences rustiques?

Il reste qu'on peut s'interroger sur le sort des conducteurs de ces trains, des vendeurs de babioles et de rafraîchissements, qui se postent le long des voies ferrées pour cueillir quelques revenus quand les visiteurs affluent.

Le train de bambou est une attraction bien connue à Battambang, entre autres, une ville où je me suis arrêté principalement pour voir l'utilisation qu'on y fait des chemins de fer bâtis dans les années 1930.

On m'avait décrit le truc comme un attrape-touriste, un divertissement pas très divertissant qui servait principalement à nous vider les poches. Je voulais voir quand même.

Le bus en provenance de Phnom Penh s'est stationné le long d'une rue terreuse. Les chauffeurs de moto ont vite repéré le Blanc assis à l'arrière. Le moteur de l'engin à peine coupé, ces chauffeurs tentaient déjà, à travers la fenêtre, de me convaincre de monter avec eux.

Un homme tenait un bout de carton avec mon nom. Je n'avais pourtant pas annoncé mon arrivée. Si j'avais réservé une chambre dans un hôtel, personne ne pouvait savoir à quelle heure je me pointerais. J'imagine bien ce chauffeur, affilié à l'hôtel, se montrer chaque fois qu'un bus surgit.

Pour l'effort, j'ai accepté qu'il me conduise partout. Il me promettait un programme bien rempli pour faire la tournée de Battambang. Après nous être arrêtés à un étal improvisé où des villageois vendent de l'essence emmagasinée dans des bouteilles de boissons gazeuses, nous avons fait le plein de la motocyclette. Et nous sommes partis, sans casque, pour atteindre le train de bambou.

J'ai payé une dizaine de dollars pour franchir les sept kilomètres sur une voie ferrée dans un état lamentable. De chaque côté, la végétation s'impose et tente de reprendre ses droits. À mi-chemin, quand un autre train de bambou s'amène, on s'immobilise, on descend, et les conducteurs déménagent les plateformes à bout de bras pour permettre aux deux bolides de reprendre leur route.

Rendu à destination, j'aboutissais dans un village où on me proposait d'acheter de quoi me rafraîchir. Un dollar pour un jus de litchi. Après, y'a les enfants qui se promettaient de me faire visiter, qui m'ont emmené dans une grange où on traite le riz avant de l'emballer dans de grands sachets.

Bien sûr qu'ils espèrent une petite rétribution. Et au moment de rebrousser chemin, l'homme qui m'avait vendu un jus m'a murmuré de ne pas oublier le pourboire du conducteur. Les 10 $, disait-il, ne servaient qu'à payer les droits d'utilisation du chemin de fer. Sont créatifs!

Mine de rien, mes yeux s'ouvraient sur un monde différent. C'est tout le reste, tout ce qu'il me restait encore à voir, qui me rendrait heureux d'être tombé dans le panneau du train de bambou.

Mon chauffeur de moto m'a montré des chauves-souris appelées roussettes, ou renards volants. Perchées dans un arbre, elles se sont envolées quand l'homme a lancé quelques pétards par terre.

Plus loin, à un stand à fruits, il m'a acheté deux corossols pour me faire goûter avant de me guider vers des temples abandonnés dignes de ceux qu'on trouve dans les plus grandes villes, tant au Cambodge qu'en Thaïlande. Non seulement j'y étais complètement seul, mais de là, j'avais une vue imprenable sur la steppe en contrebas.

Enfin, nous sommes arrivés à temps, un peu avant le coucher du soleil, pour voir des milliers, sinon des millions, de chauves-souris miniatures sortir d'une grotte en formant d'immenses essaims. Quand la lumière disparaît, elles partent à la chasse.

Nous sommes rentrés dans la noirceur la plus totale, guidés par le phare faiblard d'une vieille mobylette. Sans le train de bambou, peut-être que tout ça changera...

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